En ouverture, Zineb Guennouni, Directeur exécutif de développement de la Bourse de Casablanca, a rappelé que la solidité d’un marché ne repose pas d’abord sur la technologie ou les règles, mais sur la qualité de l’information financière. La consolidation, souvent considérée comme un sujet technique, se trouve en réalité au cœur de la transparence, de la visibilité et de la crédibilité de la place. La généralisation des IFRS chez les sociétés cotées et l’alignement progressif sur les standards internationaux traduisent une économie qui se structure et une gouvernance qui s’améliore, mais créent aussi de nouvelles exigences pour les émetteurs, cotés ou non.
Pour Khalid Raji, président de l’AMCF, la consolidation «n’est plus un simple exercice technique», mais un levier stratégique dans un contexte d’évolution des normes, d’élargissement des groupes et de montée des impératifs de reporting extra-financier. L’enquête, fondée sur un questionnaire de 53 questions et des entretiens qualitatifs, vise moins à juger qu’à établir un état des lieux structuré des pratiques, à identifier les défis opérationnels et à éclairer les besoins en compétences, outils et accompagnement.
Les résultats détaillés ont ainsi été présentés par Anass Radi, vice-président de l’AMCF et Siham Akla, membre de l’Association qui ont exposé la méthodologie, les tendances observées et les principaux enseignements du terrain.
Quelques enseignements majeurs de l'enquête
Dans le détail, les 51 groupes interrogés sont majoritairement de taille intermédiaire : 57% emploient entre 1 000 et 10 000 salariés. Le Maroc reste leur principale zone d’implantation, avec une expansion notable vers l’Afrique subsaharienne puis l’Europe. 40% sont détenus par des institutions publiques, 31% seulement sont cotés. Pour 29% des répondants, la consolidation reste d’abord un exercice de conformité légale, la transparence vis-à-vis des investisseurs venant en second rang. Sur le plan normatif, le paysage est équilibré : 50 % des groupes appliquent les IFRS, 48% les normes marocaines du CNC ; quelques groupes seulement gèrent un double référentiel.
L’un des enseignements forts concerne l’organisation de la fonction. Au Maroc, 71% des groupes internalisent la consolidation, un choix motivé par la maîtrise de la chaîne de production de l’information et les impératifs de confidentialité, en particulier dans les groupes familiaux non cotés. 20% externalisent totalement cette fonction, faute de ressources ou d’outils ; 10% adoptent un modèle mixte, avec un noyau interne et un recours ponctuel à l’expertise externe. Parmi ceux qui internalisent, 67% disposent d’une entité dédiée, rattachée dans plus de 72% des cas à la direction financière, rarement directement à la direction générale (5%).
Cette structuration masque toutefois un sous-investissement en capital humain. La plupart des départements consolidation comptent entre un et trois collaborateurs, avec une forte dominante de profils juniors (jeunes diplômés ou 2–4 ans d’expérience). Les consolideurs disposant de 10 à 20 ans de pratique restent rares, dans un contexte de turnover élevé, lié à la fois à la technicité du métier et à l’attractivité des marchés étrangers pour ces profils.
Sur les rythmes de clôture, les pratiques restent hétérogènes : 33% des groupes consolident trimestriellement, 29% semestriellement, 20% annuellement, une minorité à une fréquence proche du mensuel. Les délais dépassent souvent 90 jours, notamment parce que 69% des plaquettes de publication sont encore produites manuellement. En parallèle, des signaux positifs apparaissent : 20% des groupes réalisent une consolidation de pré-clôture, 47% une consolidation prévisionnelle, parfois portée directement par les équipes de consolidation, ce qui renforce leur rôle de partenaire du top management. Par ailleurs, 69% des comptes consolidés sont effectivement utilisés par les dirigeants pour le pilotage, ce qui confirme que la consolidation dépasse progressivement la seule logique réglementaire.
Sur un autre volet, les enjeux de gouvernance apparaissent nettement. Un quart des groupes ne dispose d’aucune documentation formalisée (manuel de consolidation, retraitements IFRS). Chez les autres, les manuels sont souvent jugés insuffisamment détaillés. Cette lacune renforce la dépendance aux personnes et fragilise le principe d’homogénéisation des pratiques au sein du groupe. Sur les opérations intra-groupes, une part importante des groupes met en place des réconciliations régulières, mais le processus reste largement manuel (fichiers Excel, échanges de mails), ce qui limite la fiabilité et la rapidité de clôture.
Les systèmes d’information présentent la même dualité : 42% des groupes s’appuient encore sur Excel comme outil principal de consolidation, tandis qu’une proportion équivalente utilise des solutions spécialisées (type SAP BFC). Mais 67% ne disposent pas d’interface entre l’outil de consolidation et la comptabilité générale, et 92% n’ont pas d’intégration avec les outils de planification budgétaire, alors même que la consolidation prévisionnelle progresse. Ce manque d’interfaçage freine la fiabilisation des données et la valorisation de la richesse analytique des comptes consolidés.
Enfin, l’enquête met en lumière quatre priorités de transformation ou d’amélioration : déploiement d’outils dédiés et intégrés couvrant consolidation et reporting ; renforcement de la gouvernance via des manuels et procédures formalisés ; amélioration du processus intra-groupe ; investissement structuré dans la formation des équipes et dans l’engagement des directions générales. Autant de chantiers qui conditionnent la capacité du marché à faire de la consolidation un véritable avantage concurrentiel, au service de la confiance des investisseurs marocains et internationaux.
Dans un marché où le nombre d’introductions en Bourse progresse et où la base d’investisseurs, marocains comme internationaux, s’élargit, la consolidation financière quitte définitivement le statut de métier de l’ombre. Les résultats de cette première enquête donnent des repères aux groupes, aux régulateurs et aux investisseurs. Ils dessinent aussi une feuille de route : celle d’une fonction de consolidation appelée à devenir l’un des principaux vecteurs de crédibilité et d’attractivité de la place financière marocaine.