-L’anémie des volumes appartient-elle enfin au passé ? Longtemps jugée trop étroite, trop rigide, trop atone, la Bourse de Casablanca vient de fracasser un plafond que l’on pensait indépassable. 61 milliards de dirhams échangés sur le marché central en 2024, soit presque le double du volume de 2023 (33,4 milliards de dirhams).
-L’accélération des volumes est bien réelle. D’ailleurs le premier mois de cette année confirme bel est bien cette dynamique avec 12,6 milliards de DH d’échanges contre 5,3 milliards en janvier 2024.
La Bourse de Casablanca a longtemps ressemblé à ces places où l’argent dort plus qu’il ne circule. Des carnets d’ordres maigres, une liquidité minime, des séances où le silence pesait plus lourd que les transactions. En 2020, 33 milliards de dirhams avaient été échangés sur le marché central, un chiffre modeste mais dans la moyenne des dernières années. L’année suivante, une embellie avait fait croire à un redémarrage, avec 40,8 milliards de dirhams de transactions en 2021 (post crise sanitaire). Mais très vite, la réalité du marché avait repris le dessus : en 2022, les volumes retombaient à 32,4 milliards, et 2023 n’offrait qu’un léger sursaut avec 33,4 milliards. Un marché étriqué, toujours dépendant d’un nombre réduit d’acteurs et d’une profondeur insuffisante pour capter des flux significatifs, sur fond d'incertitudes macroéconomiques et de tensions inflationnistes.
Puis vint 2024, et le marché a changé de dimension. 60,9 milliards de dirhams sur le marché central, une progression de 82,4% sur un an. Le marché de blocs n’a pas été en reste : après plusieurs années de volumes hésitants – 16 milliards en 2020, 23,6 milliards en 2021, puis une stagnation autour de 20 milliards en 2022 et 2023 –, il s’est également réveillé, atteignant 28,7 milliards de dirhams en 2024. Les carnets d’ordres se sont remplis, les ordres ont afflué, et la Bourse est enfin redevenue une place où l’argent circule.
En parallèle, le ratio de liquidité, un indicateur clé de la fluidité des transactions, a véritablement décollé. Il était de 8,83% en 2020, puis a légèrement progressé à 9,86% en 2021, avant de rechuter à 8,80% en 2022. En 2023, il restait encore à un modeste 8,88%. Mais en 2024, il a fait un bond significatif, pour atteindre les 12,45%. Une progression qui témoigne d’une véritable amélioration de la profondeur du marché, et rend ainsi les échanges plus fluides.
N.B: Le ratio de liquidité est une moyenne mobile du volume mensuel non doublé des marchés central et de blocs sur la capitalisation fin de mois, calculée sur une année glissante.
Au-delà des volumes globaux, c’est le rythme même des transactions qui a changé. Le nombre de contrats échangés sur le marché central a littéralement doublé, passant de 316.649 en 2023 à 659. 820 en 2024. Une telle accélération ne s’était jamais vue à Casablanca.
Même constat du côté du nombre total de titres échangés, qui a suivi une trajectoire fulgurante. 178,9 millions en 2020, 225,7 millions en 2021, 197,2 millions en 2022, 260,1 millions en 2023… et 407,4 millions en 2024. Une envolée de 56,7% en un an, qui prouve que le marché n’est plus simplement dominé par de gros blocs de transactions institutionnelles, mais qu’il s’anime avec une fréquence bien plus élevée d’échanges.
Le rythme quotidien des transactions a également changé d’échelle. La moyenne quotidienne des titres échangés, qui était de 715.711 en 2020, a grimpé à 906.779 en 2021, avant de ralentir légèrement à 776.587 en 2022. Mais dès 2023, elle a dépassé le million, atteignant 1.044.833 titres échangés par jour, avant de s’envoler en 2024 avec 1.656.409 transactions quotidiennes en moyenne.
Enfin, les chiffres du nombre de contrats échangés sur le marché central confirment tout autant ce changement de dimension du marché casablancais. De 199 943 contrats en 2020, la progression a été régulière jusqu’en 2023 (316 649), mais c’est en 2024 que la machine s’emballe : 659 820 contrats ont été enregistrés, soit plus du double de l’année précédente. Ce dynamisme atteste d’un marché beaucoup plus fluide et actif, porté par une multiplication des ordres, une augmentation du nombre d’intervenants et un afflux significatif de nouveaux capitaux.
L’envolée des volumes en 2024 ne doit rien au hasard. Trois moteurs ont propulsé ce changement de régime :
1. Une vague institutionnelle en embuscade
Longtemps apathiques, les institutionnels (assureurs, caisses de retraite…) ont réinvesti massivement le marché actions en 2024. Pourquoi ? D’abord, un besoin impérieux de rendement : dans un contexte de taux d’intérêt stabilisés et d’inflation contenue, les valeurs cotées ont offert des perspectives bien plus alléchantes que les traditionnels placements obligataires. Ensuite, des valorisations attractives : après des années de sous-performance, la cote casablancaise regorgeait d’opportunités sous-évaluées, notamment dans les secteurs bancaire, BTP ou encore industriel. Certaines valeurs offraient des points d’entrée en or et les gérants de fonds ne pouvaient plus passer à côté.
2. Les particuliers s’invitent dans la partie
C’est l’autre grande révolution de 2024 : les petits porteurs ont enfin fait leur entrée en force. Dopés par une démocratisation du trading en ligne, des plateformes plus accessibles, une bonne dynamique d’IPOs, et un effet mimétique – voir d’autres gagner attire toujours plus d’entrants –, les investisseurs individuels ont multiplié les transactions. Résultat : le nombre moyen de transactions quotidiennes est passé de 800 en 2020 à 2.682 en 2024, soit plus du triple en quatre ans. Une dynamique jamais vue. (On en parle aussi ici)
3. L’effet boule de neige des valeurs liquides
Sur un marché longtemps critiqué pour son absence de profondeur, certaines valeurs ont servi de locomotives. En 2024, les grandes capitalisations bancaires et industrielles ont vu leurs volumes exploser, et ont entraîné dans leur sillage l’ensemble du marché. Une fois la liquidité enclenchée, l’effet auto-entretenu du volume a fait le reste en attirant de nouveaux flux et redonnant confiance aux investisseurs.
Bref, le marché a donc incontestablement changé de dimension en 2024. L’enjeu est désormais de : maintenir cette dynamique, attirer davantage de capitaux étrangers et diversifier les instruments financiers. Car si les volumes explosent, la Bourse de Casablanca souffre encore d’un manque de profondeur sur certaines valeurs, et d’une gamme de produits financiers encore limitée. Le lancement du marché à terme avec ses produits dérivés aura son mot à dire. Idem, pour la nouvelle loi sur les OPCVM.
L’on comprend à travers cette dynamique de la volumétrie que la Bourse de Casablanca n’est plus un marché endormi. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, et l’accélération des flux observée ces dernières années pourrait bien marquer un vértiable tournant. Les investisseurs, qu’ils soient institutionnels ou particuliers, semblent avoir compris qu’il y a désormais une place à prendre sur un marché qui se structure et qui gagne en maturité et qui s’impose comme un acteur majeur parmi les marchés émergents en Afrique. Les premiers signaux qui se dégagent de 2025, laissent penser que cette dynamique ne relève pas d’un simple sursaut conjoncturel. Bien au contraire.
Y.S