Mardi 07 Octobre 2025

PLF-2026 face à la GenZ : Des priorités à revoir ?

Analyse du Marché Boursier Marocain

Le Maroc entre dans une phase où l’agenda social prend le pas sur les équations budgétaires. Les manifestations menées par le collectif «GenZ212» placent sur le devant de la scène des revendications simples dans leur formulation –santé publique, école, justice sociale– mais lourdes de sens dans un pays engagé une transformation économique et institutionnelle pronfonde. La question se pose désormais avec acuité : le Projet de loi de finances 2026, tel qu’esquissé dans la note d’orientation du gouvernement publié en août dernier, répond-il à ces attentes ? Ou bien un réajustement s’impose?

La note d’orientation du PLF-2026 fixe quatre cap majeurs : consolider l’émergence économique, équilibrer croissance et justice sociale, renforcer l’État social, préserver les équilibres des finances publiques. Elle insiste sur la réduction des disparités sociales et spatiales, l’élargissement de la couverture sociale, la montée en puissance de l’investissement productif et la maîtrise de la dette. L’exécutif promet ainsi de maintenir la croissance autour de 4,5% en 2026, avec un déficit budgétaire ramené à 3% du PIB et une dette stabilisée à 65,8%.

Ces priorités ne sont pas nouvelles mais  prolongent les chantiers ouverts ces dernières années – généralisation des aides directes, extension de la couverture médicale, programmes territoriaux – avec l’ambition de les arrimer à une trajectoire de discipline budgétaire

C’est pourtant l’emploi qui fait figure de talon d’Achille. Après trois trimestres de créations dynamiques dans le non-agricole, le deuxième trimestre 2025 a marqué un coup d’arrêt : à peine 5 000 postes nets créés, contre plus de 280 000 au premier trimestre. Abdellatif Jouahri, gouverneur de Bank Al-Maghrib, a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en avertissant que ce ralentissement menace la consommation intérieure, principal moteur de la croissance.C’est une alerte qui fait écho aux revendications de la jeunesse, centrées sur le quotidien, l’emploi, l’accès aux soins et l’éducation.

En d’autres termes, les fondamentaux macroéconomiques – croissance, inflation maîtrisée, recettes d’exportations dynamiques – risquent d’être fragilisés si l’emploi ne suit pas. Et c’est précisément ce lien emploi-consommation qui conditionne la soutenabilité sociale de la croissance.

Qui plus est, les chiffres de la pauvreté multidimensionnelle confirment l’ampleur des défis. Certes, le taux est passé de 11,9% en 2014 à 6,8% en 2024, mais plus de 2,5 millions de Marocains restent touchés, dont 72% en milieu rural, selon le HCP. Les disparités régionales restent marquées. Dans des régions comme Béni Mellal-Khénifra ou Fès-Meknès, la pauvreté multidimensionnelle avoisine encore 10%, soit deux à trois fois la moyenne urbaine.

 

Points de convergence et d’écart

On retrouve dans la note d’orientation du PLF-2026 déjà certains chantiers qui recoupent les revendications de la Génération Z. Au centre, la justice spatiale, présentée comme un axe structurant du budget 2026 : réduction des disparités territoriales, valorisation des spécificités locales, consolidation de la régionalisation avancée et principe de solidarité entre les entités territoriales. C’est une traduction directe des Hautes orientations royales, mais qui rejoint aussi le constat de la jeunesse : les fractures sociales et régionales restent vives.

Dans le domaine éducation–formation–enseignement–emploi, la note met en avant un ensemble d’initiatives censées garantir l’égalité des chances. Le programme des «Écoles Pionnières», généralisé à 1,3 million d’élèves, amorce une refonte du modèle éducatif, tandis que les «Écoles de la deuxième chance», avec un objectif de 400 centres d’ici 2030, visent à lutter contre la déperdition scolaire. La Feuille de route pour l’Emploi, de son côté, ambitionne de ramener le chômage à 9% à l’horizon 2030, en s’appuyant sur huit initiatives structurantes orientées vers le développement des compétences et l’intégration professionnelle.

Ces mesures traduisent une volonté politique d’aligner l’action publique sur la justice sociale et territoriale. Elles répondent, dans leur principe, à plusieurs doléances du manifeste GenZ : école, emploi, équité.

Par contre deux écarts demeurent. Le premier est celui de la temporalité avec les jeunes demandent des réponses immédiates, quand le PLF-2026 fixe des horizons 2026 ou 2030. Le second est celui de la concrétisation avec des programmes qui sont annoncés comme des intentions stratégiques, mais restent vagues sur les budgets alloués, les calendriers et les mécanismes de reddition des comptes. Or, c’est précisément l’exécution et la transparence qui sont au cœur du scepticisme de la jeunesse.

Ainsi, si convergence il y a sur les thèmes, le décalage persiste sur l’urgence et sur la capacité de l’État à matérialiser rapidement ses engagements.

 

L’équation politique

Le Maroc se trouve devant une équation délicate où il faut maintenir la trajectoire de discipline macroéconomique tout en répondant à une demande sociale immédiate et pressante. Les chiffres de la croissance (5,5 % au T3, selon le HCP) risquent de rester abstraits pour une jeunesse confrontée au chômage, aux hôpitaux saturés et aux inégalités scolaires.

La question n’est donc pas tant de «changer» les priorités, mais de les réincarner : mettre en avant la santé publique non seulement par des couvertures sociales mais par un plan d’urgence hospitalier ; traduire la trajectoire éducative (écoles pionnières, deuxième chance) en recrutements et moyens visibles dans les classes ; donner une matérialité à la «justice spatiale» en ciblant des territoires précis, avec des échéanciers clairs et last but not least intégrer la reddition des comptes et la lutte contre la corruption comme une cinquième priorité explicite.

Il faut enfin rappeler que la note d’orientation du PLF-2026 n’est qu’un document de cadrage. Le gouvernement dispose encore de plusieurs semaines pour élaborer la version définitive de son projet de loi de finances, avant son passage au Parlement. Rien n’empêche donc l’Exécutif de revisiter ses priorités, ou du moins de préciser certaines mesures pour répondre aux revendications montantes.

Le PLF-2026, tel qu’il est cadré, reste cohérent et solide du point de vue macroéconomique. Mais la rue, elle, ne demande pas une trajectoire de soutenabilité financière mais exige des preuves tangibles d’un État social vivant. Le risque, à défaut d’ajustement, est de voir l’écart se creuser entre la rationalité technocratique et l’urgence sociale.
 

Y.S
 

PLF

Articles qui pourraient vous intéresser

Vendredi 08 Aout 2025

Projet de Loi de Finances 2026 : Les quatre grandes priorités fixées par le gouvernement

Mercredi 23 Juillet 2025

La préparation du Projet de loi de finances 2026 au menu du prochain Conseil de gouvernement

Mardi 03 Decembre 2024

Les réformes fiscales propulseront les recettes fiscales à plus de 329 milliards de dirhams en 2025 (Lejkaa)

Lundi 21 Octobre 2024

Secteur public: l'effort d'investissement global fixé à 340 milliards de dirhams en 2025

S'inscrire à la Newsletter Boursenews

* indicates required