On voit de tout sur les marchés boursiers, mais rarement des "OPA fantômes". Et pourtant, hier, de nombreux investisseurs se sont rués sur le titre du groupe américain Avon sur la base de fausses informations diffusées, sans contrôle préalable, par le gendarme de la bourse américaine. Explications.
Drôle de journée hier à Wall Street. Journée qui laissera une impression étrange à Avon, qui en aura été victime, aux investisseurs, qui n’auront pas compris grand-chose, et qui posera également de lourdes interrogations sur la réglementation boursière américaine en matière d’OPA.
Hier les traders de Wall Street achètent en masse le titre Avon. Un communiqué officiel de la SEC (Securities and Exchange Commission) les informe d'un projet d’OPA sur les actions du groupe, lancé par le fonds PTG Capital Partners. Une grosse opération, puisque le titre avait ouvert du côté des 6,5 dollars, et l’acheteur potentiel propose le triple, 18,75 dollars!
Un prédateur bien mystérieux
Immédiatement le titre Avon se met à flamber, gagnant jusqu’à 20%, avec un plus haut à 8 dollars. Donc bien en-dessous de ce qui est proposé. Les investisseurs attendent d’en savoir un peu plus avant d’acheter Avon aux cours de l’OPA. L’histoire va montrer qu’ils auront bien fait d’être prudents.
Car la réponse d’Avon ne tarde pas, mais prend tout le monde par surprise. Le groupe dément déjà avoir reçu quelque information que ce soit, et encore moins de document officiel détaillant l’offre, ce qui est réglementaire, même en cas d’opération dit "hostile", c’est-à-dire non-sollicitée par l’entreprise.
OPA fictive d’un fond fantôme !
Mais mieux: Avon déclare qu’après vérification, le fonds PTG Capital Partners n’existe pas! Personne au téléphone au numéro indiqué, adresse suspecte dans des bureaux londoniens inconnus au bataillon, tout cela sent la société-écran à plein nez.
En tout cas Avon est obligé d’adopter une position réglementaire, comme elle doit le faire au regard du droit boursier international: et pour elle il n’y a pas d’OPA hostile, encore moins d’OPA amicale, cette opération est tout simplement considérée comme fictive par l’entreprise, donc n’ayant aucune existence réelle !
Mais que fait la SEC ?
Stupeur chez les traders américains, qui du coup vendent les actions et font tomber le cours à 7,07 dollars en clôture, occasionnant sans doute des pertes substantielles pour ceux qui auront essayé de prendre le train en marche en passant à l’achat, alors que le titre en cotait 8.
Tous les yeux se sont évidemment tournés vers les autorités boursières américaines, qui malheureusement ne peuvent que rappeler les règles de base en la matière. Hormis cas particuliers, ce sont les entreprises, et pas elle, qui sont responsable de la véracité et de l’exactitude des données qui lui sont transmises.
Responsabilité des entreprises
La SEC n’enquête qu’en cas de problème ou de contentieux, comme c’est le cas dans le dossier, et nul doute que l’ensemble des transactions sur le titre Avon sur toutes les plates-formes boursières vont être disséquées une par une, milli-seconde par milli-seconde.
Il faudra déterminer si certains ont réussi à miser sur cette extraordinaire farce pour faire les bonnes opérations au bon moment et en tirer du profit, ou d’éventuels liens entre les auteurs du coup et des traders complices, ce qui prendra sans doute des mois.
Erreurs grossières
Que la SEC n’enquête jamais a priori sur l’honnêteté des informations qui lui sont transmises pose néanmoins un vrai problème. Car le document mentionnant cette OPA lui a été transmis via le canal habituel, un réseau de transmission électronique spécifique, sans véritable procédure de vérification, même sommaire.
Et des sources proches de l’enquête ont révélé hier que le document en question était mal écrit, comportait des fautes d’orthographe et des erreurs diverses. De plus le nom même choisi pour ce fonds douteux, PTG Capital Partners, crée une ambiguïté avec TPG! Texas Pacific Group, fonds géant spécialisé dans le Private Equity, pour le coup bien réel, a même été contrait à réagir hier, démentant être pour quoi que ce soit dans cette rocambolesque affaire.
Un grand ménage à venir ?
Du jamais vu à Wall Street? Des précédents ont existé dans l’histoire boursière américaine. Des dizaines d’entreprises américaines ont été victimes de mouvements de bourse spectaculaire et des milliards de dollars de capitalisation boursière ont été concernés par de fausses nouvelles et de faux documents. Mais, de mémoire de trader, jamais sur la base de documents visés et communiqué par les autorités boursières américaines. De quoi inciter le pouvoir politique américain à se saisir du dossier pour réfléchir à une réglementation un peu plus cohérente et plus rigoureuse.
BFM Business