PARIS (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) risque d’aborder la prochaine récession économique dans une situation très inconfortable, prévient Isabelle Mateos y Lago, directrice générale au BlackRock Investment Institute.
Avec une croissance qui se tasse et une inflation qui refuse obstinément de décoller, l’institution de Francfort n’est pas en situation de donner un tour de vis à sa politique monétaire, déclare à Reuters l’experte du ‘think tank’ du numéro un mondial de la gestion d’actifs.
“L’économie de la zone euro dans son ensemble reste à un niveau de croissance qui justifie entièrement une politique monétaire encore très accommodante”, dit-elle. “Par ailleurs, l’encéphalogramme de l’inflation hors énergie et alimentation reste pratiquement plat et le mandat de la BCE est de la faire revenir à un niveau proche de 2%.”
Contrairement à la Réserve fédérale, dont le cycle de normalisation est bien avancé, la BCE, qui compte arrêter son programme de rachats d’actifs à la fin de l’année et ne devrait pas commencer à relever ses taux avant le second semestre 2019, n’a pas encore entamé le resserrement de sa politique.
“La question est de savoir ce qu’ils feront à la BCE si les Etats-Unis entrent en récession avant qu’ils aient pu relever les taux au niveau où la Fed est aujourd’hui, ce qui sera vraisemblablement le cas”, s’inquiète Isabelle Mateos y Lago.
“Très vraisemblablement, la BCE entrera dans la prochaine récession avec très peu de marges de manoeuvre du côté de la politique monétaire et de la politique budgétaire parce que, hormis l’Allemagne, tous les pays sont au taquet en termes de dette. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes prudents, voire négatifs sur l’Europe à moyen terme. Nous avons une vraie inquiétude sur la capacité de la zone euro à gérer la prochaine récession.”
Le peu d’optimisme de BlackRock concernant l’Europe s’explique en outre par les risques politiques qui s’y bousculent, notamment en Grande-Bretagne, où le processus de sortie de l’Union européenne se révèle pour le moins délicat, et en Italie, dont le gouvernement est engagé dans un bras de fer avec l’Union européenne autour de sa politique budgétaire.
“Parmi nos indicateurs sur les différents risques géopolitiques, celui de l’Europe est celui qui a le plus augmenté depuis le mois de juillet”, rapporte Isabelle Mateos y Lago.
“Il est maintenant l’un des plus élevés. Certains disent que les marchés ne prêtent pas suffisamment d’attention à ce risque mais ce n’est pas notre analyse. Beaucoup d’investisseurs internationaux se détournent de l’Europe parce que les perspectives de rendement ne sont pas terribles et que, par contre, les risques de problèmes sérieux paraissent significatifs.”
Isabelle Mateos y Lago se dit confiante de voir à moyen terme Londres éviter un Brexit sans accord et Rome échapper à une crise ouverte avec Bruxelles.
“Par contre, au fil du temps, la situation risque de se compliquer parce que l’économie italienne a déjà cessé de croître au troisième trimestre et que les banques, sauf les plus grosses, n’ont plus accès au marché pour se financer et sont totalement étranglées pour fournir des crédits à l’économie”, dit-elle.
Cette récession économique mondiale que la BCE pourrait avoir du mal à négocier, BlackRock ne la voit pas arriver en 2019, ni même peut-être en 2020.
“Notre analyse est que le risque de récession pour l’année prochaine reste relativement faible, inférieur à 20%, mais on entre dans cette phase de fin de cycle où les marchés sont relativement nerveux face à ce thème de récession”, dit Isabelle Mateos y Lago.
“Dans notre scénario de base, nous ne voyons pas de récession en 2019, et peut-être pas en 2020 non plus. On voit les risques augmenter plutôt à l’horizon 2021 mais la nervosité des marchés va se poursuivre, avec de la sensibilité dans les deux sens.”
La crainte d’une récession, identifiée par BlackRock comme le risque majeur pesant sur ses perspectives d’investissement 2019, a pris de l’ampleur récemment sur les marchés, où certains interprètent l’amorce d’une inversion de la courbe des taux américains comme l’annonce d’un basculement à plus ou moins court terme.
“La tendance à l’inversion de la courbe des taux n’est pas un signal qui nous empêche de dormir”, confie Isabelle Mateos y Lago. “Historiquement, il a eu un pouvoir prédictif fort, mais à l’horizon de deux ans, et ce qui nous intéresse dans l’immédiat est ce qui va se passer sur les marchés l’année prochaine. De toute façon, nous avons une probabilité de récession en 2021 supérieure à 50%, avec ou sans inversion de la courbe de taux.”
Les risques politiques sont loin d’être limités à l’Europe, ajoute-t-elle avant d’évoquer les frictions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine et, plus globalement, la montée des populismes et des protectionnismes un peu partout.
“C’est un risque qu’on commence à suivre de très près et qui est déjà bien réel aux Etats-Unis et en Italie”, dit-elle.
“Le Royaume-Uni n’en est pas très loin et la France en prend le chemin. Le pire n’est jamais sûr mais il est clair qu’il y a une forme d’insatisfaction très forte qui se dégage vis-à-vis du modèle de croissance et de répartition de la richesse qu’on a connu au cours des 10 dernières années.”
“Je crois que personne n’a de très bonnes réponses à apporter à cette insatisfaction et le risque est effectivement d’avoir des retours de balancier un peu violents. C’est un gros risque qui crée de l’incertitude et qui menace de peser notamment sur la rentabilité des entreprises.”