Dans le secteur du BTP, la transmission des entreprises familiales représente un défi majeur, nécessitant une réflexion approfondie.
Le marché boursier se présente comme un levier pour assurer la continuité des activités.
Décryptage d'une problématique qui concerne de nombreux acteurs du secteur.
Si les entreprises de BTP représentent un pilier essentiel de l'économie marocaine, leur influence se reflète nettement sur le marché boursier. Avec 60 à 70 milliards de DH, le secteur du BTP représente 10% de la capitalisation boursière du marché casablancais. Il est également classifié 3ème secteur en termes de poids avec plusieurs entreprises qui ont écrit de belles histoires.
«Durant les 20 dernières années à la Bourse de Casablanca, plus d’une IPO sur 5 s’est faite par une entreprise opérant dans le BTP. La dernière IPO, celle de TGCC, a connu un fort engouement de la part des investisseurs, avec un montant offert par le marché de 13 milliards de DH pour un montant demandé de 600 MDH, soit 20 fois la demande initiale», a déclaré Kamal Mokdad, président du Conseil d’administration de la Bourse de Casablanca lors d’une rencontre organisée conjointement avec la Fédération nationale du bâtiment et des travaux publics (FNBTP) sur le rôle du marché boursier dans la transmission des entreprises familiales du secteur du BTP.
En effet, les entreprises familiales du secteur BTP ont souvent un héritage riche, forgé par des décennies d'expérience, de savoir-faire et de relations durables. Mais lorsqu'une de ces entreprises atteint un stade de maturité et se retrouve confrontée à la nécessité (et à la réalité) de sa transmission, les enjeux se multiplient. Les fondateurs qui gèrent seuls au départ, ont tous les pouvoirs et ont souvent du mal à lâcher prise le moment venu.
En outre, les questions de gestion, de gouvernance, de financement et de leadership sont parmi les préoccupations auxquelles les familles entrepreneuriales pensent. Au-delà de la simple transmission patrimoniale, il s'agit de préserver l'identité et les valeurs qui ont fait le succès de l'entreprise tout en assurant sa croissance future. C'est dans ce contexte que le marché boursier se positionne comme une alternative intéressante pour faciliter cette transition.
Jacobs Engineering, Balfour Beatty, Vinci ou encore Bouygues sont autant d’exemples de sociétés internationales et centenaires mises en exergue par Kamal Mokdad pour illustrer l’importance de la bourse dans ce processus de transmission.
Même son de cloche du côté du président de la FNBTP, Mohamed Mahboub, qui a mis en avant l’importance de cet événement pour inciter les entreprises familiales, spécifiquement celles qui ont atteint un niveau de perfectionnement en matière de réalisation des grands ouvrages d’infrastructure sur le territoire national, à s'introduire en bourse. «Le but étant d’assurer une continuité de l’activité de ces entreprises le plus longtemps possible», a-t-il expliqué, ajoutant que c’est aussi une occasion pour ces firmes pour développer leur efficacité et leur rigueur en matière de gestion à même de les encourager à s’exporter vers d’autres pays.
En tant qu'alternative à la transmission traditionnelle, la Bourse offre plusieurs opportunités aux entreprises familiales du secteur du BTP, leur permettant de surmonter les défis liés à la transmission. Tout d'abord, elle permet aux propriétaires de partager le risque avec un plus grand nombre d'investisseurs, réduisant ainsi la pression financière sur la famille. Aussi, une IPO peut donner accès à des capitaux importants pour financer la croissance future de l'entreprise. Les entreprises familiales choisissant cette voie royale peuvent également bénéficier d'une plus grande transparence et d'une gouvernance renforcée, éléments attractifs pour les investisseurs.
«La Bourse est une solution pérenne pour répondre au défi majeur dans notre tissu économique qu’est celui de la transmission des entreprises. Le secteur du BTP fait face à ce défi dont le marché boursier répond par deux leviers. D’abord, la gouvernance et, ensuite, la transparence du pricing», a précisé Mokdad.
En plus des ressources financières, la valorisation de l'entreprise sur le marché et la possibilité d'accélérer facilement la croissance et l'expansion de l’activité sont d’autres avantages offerts par la Bourse. Pour Tarik Senhaji, Directeur général de la Bourse de Casablanca, Dari Couspate en est le parfait exemple. Elle s’est introduite en Bourse quelques temps après Maroc Telecom en 2005, avec un montant inférieur à 30 MDH et son activité a fortement augmenté depuis.
«La Bourse de Casablanca a d’ailleurs réussi la transmission de plusieurs entreprises familiales avec la conservation d’un patrimoine industriel de plus de 10 milliards de DH, comme en témoigne le cas de Sothema, Dari Couspate et Colorado», a ajouté de son côté Mokdad.
Des défis à relever
Bien que le marché boursier offre des opportunités prometteuses, la transition vers ce nouvel environnement pour les entreprises familiales n'est pas dénuée de défis. Ces dernières doivent se conformer à des réglementations strictes, comme la publication d’informations financières périodiques et l'application de bonnes pratiques de gouvernance.
«L’information financière et la gouvernance sont les deux éléments centraux qu’il faut préparer avant d’aller en Bourse. Il n’y a pas de garanties demandées pour s’introduire en Bourse, mais en contrepartie, il faut offrir une information transparente et de bonnes pratiques de gouvernance pour créer une relation de confiance avec les investisseurs», a noté sur ce point Nasser Seddiqi, directeur des opérations financières et des marchés à l'Autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC).
Des exigences qui peuvent nécessiter des investissements considérables en termes de ressources humaines et de technologie de l'information. De plus, l'ouverture du capital peut entraîner une dilution du contrôle familial, ce qui peut être difficile à accepter pour les membres de la famille qui ont bâti l'entreprise souvent avec passion et dévouement. La présence de nouveaux actionnaires peut également modifier la culture d'entreprise et les prises de décision.
Selon le baromètre 2021 du cabinet BDO, la transmission d’entreprise reste une option plausible pour 60% des dirigeants. La transmission est de plus en plus question de ‘’nécessité’’ tant pour les cédants que pour les repreneurs, et encore plus lorsqu’elles sont des entreprises familiales. Les dirigeants décident de céder avant tout pour des raisons liées à la conjoncture du secteur d’activité ou des difficultés internes de l’entreprise. L’appât d’un bon deal vient en second lieu.
«Aujourd’hui, on en est encore loin, puisque le sujet est toujours considéré comme tabou. A l’échelle internationale, 81,08% des entreprises familiales n’ont pas mis de plan de succession. Au Maroc, le dirigeant se détache difficilement par souci d’assurer le suivi de près ou de loin. La mise en place d’outils structurants permet de faire ses «homeworks» et de promouvoir la culture de la transmission, nécessaire à lever ce tabou et dédramatiser le passage de relais au bénéfice de toutes les parties prenantes et in fine de l’économie marocaine», a schématisé Zakaria Fahim, président de BDO Maroc.