Fidèle à sa stratégie de prudence, la Banque centrale a maintenu son taux directeur inchangé, malgré les attentes d'une nouvelle baisse, une décision que Jouahri a véhément défendue. Mais une baisse aurait-elle vraiment été envisageable ?
Le Wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, a de nouveau livré une nouvelle démonstration de la philosophie qui guide l’institution : prudence, humilité et rigueur. À l’issue de la troisième réunion trimestrielle de l’année, la Banque centrale a décidé de maintenir son taux directeur inchangé à 2,75%. Une décision qui a surpris bon nombre d’observateurs, alors que le consensus s’attendait à une nouvelle baisse de 25 points de base. de Ce statu quo laisse passer un message subtil : dans un environnement mondial et national plein d'incertitudes, toute précipitation pourrait s'avérer coûteuse.
Lors de son point de presse suivant la réunion du Conseil de BAM, Abdellatif Jouahri a fait une analogie parlante : la politique monétaire est «un jeu de cartes vues et non vues». Dans ce jeu, BAM doit jongler avec les incertitudes multiples, tant à l’international qu’au niveau national. Jouahri a averti : «Il ne faut jamais agir dans la précipitation, sous peine de devoir rectifier brusquement le cap par la suite».
En effet, sur le plan mondial, la situation géopolitique reste instable avec des facteurs tels que la guerre en Ukraine et les tensions croissantes au Moyen-Orient. Ces événements accentuent la fragmentation économique mondiale, notamment en matière d'énergie, avec des répercussions sur l'inflation globale et les marchés. À ces défis internationaux s'ajoutent des préoccupations locales tout aussi importantes. Au Maroc, les sécheresses récurrentes menacent la production agricole et pèsent sur la croissance économique globale. Le stress hydrique s’impose ainsi comme un risque majeur, affectant directement l'un des piliers de l'économie marocaine.
Mais les incertitudes ne s’arrêtent pas là. La Banque centrale surveille également de près les négociations autour du dialogue social ainsi que les orientations du projet de Loi de Finances 2025, qui incluent la potentielle décompensation des produits de base. Ces décisions pourraient avoir un impact plus important que prévu sur la demande intérieure et sur les prix. «Un choc d’offre peut entraîner une hausse des prix», a souligné Jouahri, conscient des risques d'une inflation importée ou locale à moyen terme.
Observer avant d’agir
La prudence de Bank Al-Maghrib se justifie aussi par les répercussions encore incertaines de la baisse de 25 points de base opérée en juin dernier. Bien que cette mesure ait été saluée à l’époque, son impact sur l’économie n’a pas encore livré tous ses effets. Jouahri l’a reconnu : «Je n’ai pas encore toutes les conséquences et les effets de la décision que nous avons prise en juin».
C’est précisément ce besoin d’évaluer les retombées réelles qui motive la posture actuelle. Pour la Banque centrale, il est essentiel de laisser cette décision produire ses effets avant d’envisager de nouveaux ajustements. L’objectif est d’éviter une intervention trop rapide, qui pourrait s’avérer inopportune ou mal calibrée.
Cette approche mesurée, voire conservatrice, a certes pu décevoir certains acteurs économiques qui espéraient un soutien monétaire supplémentaire. Le consensus anticipait en effet une nouvelle baisse de 25 points de base, surtout dans un contexte où l’inflation reste contenue et où l’économie nationale montre des signes de reprise non agricole. Toutefois, BAM préfère observer l'évolution de la conjoncture sur les trois prochains mois avant d'agir.
Aurait-elle vraiment pris un risque ?
Si l’attentisme de BAM est compréhensible au vu des incertitudes, certains se demandent cependant si une nouvelle baisse de taux n’aurait pas été une meilleure option à ce stade. Après tout, l’inflation est actuellement stabilisée autour de 2%, bien en dessous des niveaux critiques observés ces dernières années. En ce sens, une réduction supplémentaire du taux directeur aurait pu soutenir l’investissement privé et stimuler la consommation des ménages, sans pour autant menacer les grands équilibres macroéconomiques.
Qui plus est, ces incertitudes se dissiperont-elles réellement de sitôt ? Le stress hydrique, les conflits au Moyen-Orient, ou encore les tensions géopolitiques mondiales sont des facteurs qui existent, et persisteront probablement dans un futur prévisible. En suivant cette logique de prudence absolue, la Banque centrale risque de s’auto-limiter et de ne jamais agir, car les incertitudes font partie intégrante du contexte économique mondial. Elles étaient déjà présentes en juin dernier, lorsque BAM a pris la décision de baisser son taux de 25 points de base. En clair, les incertitudes ont toujours existé et continueront de faire partie de l’équation. Il semble donc légitime de se demander si une action mesurée, même dans ce contexte, n’aurait pas été bénéfique pour renforcer la reprise.
Certains auraient pu voir dans cette baisse un geste opportun pour renforcer la reprise économique, surtout dans un climat post-pandémique encore fragile. D’autant plus que l’économie non-agricole affiche des signes encourageants, avec une reprise soutenue par l’investissement public et privé. Mais Jouahri est resté ferme sur ce point : «En tant que banque centrale, j’estime qu’elle doit être prudente avant de prendre une décision qui peut se révéler non adéquate». Le Wali craint surtout que des déséquilibres se créent, si des conditions exogènes venaient à aggraver la situation économique actuelle.
Inflation contenue, mais sous surveillance
Une autre justification majeure du statu quo est la modération de l'inflation. Depuis le début de l’année, elle évolue à des niveaux modérés, notamment en raison de la baisse des prix des produits alimentaires à prix volatils. BAM projette une stabilisation de l’inflation sous-jacente autour de 2% pour les huit prochains trimestres, avec une légère accélération prévue à 2,5% en 2025.
En attendant, BAM reste sur ses gardes. L'inflation, bien que sous contrôle, est un phénomène complexe et volatile, influencé par de nombreux facteurs externes. Si le Maroc continue de subir les effets des tensions géopolitiques mondiales et de la hausse des prix énergétiques, une reprise de l'inflation pourrait survenir plus rapidement que prévu. C’est cette crainte d’une inflation persistante qui incite tout aussi BAM à maintenir une posture d’observation vigilante.
Enfin, le Wali a conclu son intervention en écartant toute idée de surenchère politique ou populiste : «Je ne souhaite pas que quelqu’un nous fasse la surenchère de dire qu’il a à cœur plus que nous l’intérêt du pays». Un rappel qui met en lumière l’indépendance et la rigueur de Bank Al-Maghrib, qui se veut avant tout au service des équilibres macroéconomiques du Royaume, loin des considérations politiques à court terme.
En fin de compte, Bank Al-Maghrib reste fidèle à sa stratégie de prudence. Dans un contexte marqué par des incertitudes géopolitiques, des tensions inflationnistes sous-jacentes et des risques locaux liés à la sécheresse, l’institution préfère temporiser. Cette approche, bien que conservatrice, permet à BAM de garder toutes ses cartes en main pour ajuster sa politique au moment opportun, tout en évitant les écueils d’une action précipitée.
Y. Seddik