Un fichier tombé du ciel (ou plutôt d’un serveur attaqué de la CNSS), contient les grilles de rémunération de plusieurs établissements. Des millions de données de Marocains se sont retrouvées sur la toile après cette cyberattaque visant à contourner les dispositifs de sécurité de cet établissement public. Le fichier circule librement sur le web. Et comme tout ce qui est «confidentiel», ce document est devenu viral. Il fait office d'une véritable Bourse des salaires bancaires. Chacun y consulte sa valeur intrinsèque, compare son multiple de rémunération et par la même occasion évalue sa volatilité émotionnelle.
Dans les open spaces, l’heure n’est plus aux bilans, mais à l’analyse comparative.
-«Tu savais que le banquier privé chez X gagne 30% de plus qu’ici ?»
-«Et moi qui pensais que mon salaire était correct…»
-«Je génère plus de PNB que tous leurs desk réunis pour un salaire inférieur au poste équivalent»
Les effets secondaires n’ont pas tardé : hausse des tensions, baisse de moral, et apparition brutale de ce que les RH appellent pudiquement des «sautes d’humeur». On assiste même à des mouvements sismiques dans les bureaux. Mais des DRH de banques consultés sur le sujet tentent de minimiser la portée de ces données. L'un d'eux nous explique que le salaire de base n'est pas calculé de la même manière chez tout le monde. A cela s'ajoutent les différents bonus, primes et challenges. Dans certains postes, les bonus sont une composante conséquente de la rémunération et ne sont pas reflétés dans les salaires de base, nous dit-on. Les banquiers disent aussi entendre tout et son contraire pour expliquer les écarts de salaires.
En tout cas, ce matin, le seul cours qui intéresse les banquiers, ce n’est plus celui de l’USD/MAD, mais celui du «concurrent d’en face au même poste».
Dans un secteur où la grogne sociale est déjà latente, cet épisode n’avait vraiment rien d’utile. Il agit comme un catalyseur d’un malaise ancien que beaucoup feignent d’ignorer. Mais avec les chiffres désormais sur la table (ou sur WhatsApp), les managers auront du pain sur la planche.
La CNSS a expliqué mercredi soir que dès l’observation de la fuite des données, le protocole de sécurité informatique a été actionné avec des mesures correctives qui ont permis de contenir le chemin utilisé et de renforcer les infrastructures, ajoutant que des moyens ont été mis en œuvre pour identifier précisément les données concernées.
Rappelant que la protection des données personnelles et la confidentialité des informations de ses usagers constituent une priorité absolue, la CNSS a fait savoir qu’une enquête administrative interne est en cours alors que les autorités judiciaires compétentes ont été saisies par la Caisse.
A cet effet, «nous appelons l’ensemble des citoyens et médias à faire preuve de vigilance, de sens de la responsabilité et d’éviter tout acte de diffusion ou de partage de données fuitées ou falsifiées au risque de s’exposer à des conséquences judiciaires», conclut ce communiqué.