Mercredi 30 juin 2021. Ambiance tendue dans les salles des marchés des grandes banques marocaines. Les traders ont une mission: se débarrasser d'une bonne partie des OPCVM détenus en portefeuille et rapatrier le cash dans les banques, pour embellir les bilans de fin de semestre et éviter les provisions qui en découlent qui peuvent peser sur les fonds propres. Ceci à un moment où les établissements de crédit ont peu de marge de manœuvre sur ce volet à cause des conséquences de la crise sanitaire sur leur capitaux propres. En fin de journée, il faut finaliser ces opérations de Window dressing et montrer l'image la plus belle possible du bilan des banques à l'occasion de l'arrêté semestriel. Une "photo" propre du bilan permet également d'éviter de se faire taper sur les doigts par la banque centrale qui impose des ratios prudentiels.
"Le problème de ce type de journées c'est que nous agissons (les banques: ndlr) tous dans le même sens, ce qui provoque de fortes pressions sur les sociétés de gestion d'OPCVM obligées de liquider leurs positions sur le marché des taux pour honorer les rachats. Ce n'est pas toujours possible, ce qui provoque des recours au marché monétaire. D'ailleurs, le 30 juin dernier, les taux de repo ont explosé", témoigne un banquier qui confirme que l'arrêté semestriel de juin 2021 était plus compliqué que d'habitude.
Pourtant, ces maquillages comptables, phénomène mondial, n'échappent pas aux regard des régulateurs du secteur financier qui surveillent, alertent mais ne cherchent pas à stopper la pratique. Car les interactions entre institutions financières et OPCVM permettent d'apporter de la liquidité au marché des capitaux, d'offrir des valorisations aux actifs financiers et, plus concrètement encore, soutenir les entreprises non financières qui recourent à la dette privée. Car rappelons-le, les OPCVM sont les investisseurs les plus importants dans cette classe d'actifs qui a permis à des émetteurs sinistrés de garder la tête hors de l'eau pendant la crise sanitaire à travers des émissions publiques ou des placements privés. Stopper ces interactions, c'est enrayer la machine du financement.
"Des interactions fortes"
Dans leur dernier rapport sur la stabilité financière, Bank Al-Maghrib, l'AMMC et l'ACAPS qualifient de "fortes" les interconnexions entre l’activité de gestion des OPCVM et les secteurs bancaires et des assurances. Selon les régulateurs, cela "peut favoriser la transmission des risques en cas de crise".
L’analyse détaillée de cette exposition par les régulateurs met en exergue l’existence d’une forte interconnexion entre d’une part, les institutions financières et les marchés monétaire, obligataire et boursier et, d’autre part, entre les institutions financières elles-mêmes. En effet, les institutions financières détiennent 77,4% de l’actif global des OPCVM, lequel est investi à hauteur de 26,7% dans la dette privée. Or, la dette privée est elle-même émise par les institutions financières à hauteur de 63%. "Cette interconnexion est exacerbée également par les opérations réalisées sur les marchés des repos et des prêts de titres entre les OPCVM et les institutions financières", poursuit le rapport.
"A travers cette interconnexion, les risques peuvent aisément se propager au sein du système financier, en particulier en cas de survenance de crise systémique", lit-on dans le rapport.
D'où viennent ces interactions ?
Les interconnexions entre la gestion d’actifs et le reste du système financier découlent, à l’actif, de la détention de titres émis par des entités financières (banques, assurances ou autres intermédiaires financiers), et au passif, de la détention des parts des fonds par ces mêmes types d’entités. Le rapport explique, en se basant sur des données reçues dans le cadre des reportings réglementaires, qu'il apparaît clairement que les entreprises financières occupent une place prépondérante dans le secteur de la gestion collective. En effet, l’encours global des avoirs détenus par ces dernières ne cesse d’augmenter passant ainsi de 328 milliards de dirhams en 2018 à 350 milliards de dirhams en 2019 pour atteindre un montant de 405 milliards de dirhams en 2020. Dans le détail, les compagnies d’assurances et les caisses de retraite restent les principaux investisseurs en OPCVM avec un encours global de 239 milliards de dirhams, soit 45,8% de l’actif net global. Cette catégorie d’investisseur, ayant un horizon d’investissement à long terme s’oriente plus vers les OPCVM obligataires avec un encours de 179 milliards de dirhams, soit 74,7% des montants investis, et plus précisément les OPCVM à moyen et long terme (70% des montants investis). Les banques viennent en deuxième position avec un encours global de 96 milliards de dirhams, soit 18,3% de l’actif net global, orienté principalement vers les OPCVM obligataires à moyen et long terme (73,4% de l’encours détenu). Avec 15,9% des encours gérés par les OPCVM, les entreprises non financières restent également des investisseurs importants en dépit de la baisse des montants investis qui passent de 85,1 milliards de dirhams en 2019 à 82,9 milliards de dirhams en 2020. Cette situation pourrait s’expliquer par la nature même de ces investisseurs, qui sont sensibles à l’environnement économique et qui utilisent généralement les OPCVM pour des investissements à court terme dans les fonds monétaires ou obligataires à court terme à des fins d’optimisation de trésorerie.
Sociétés de gestion d'OPCVM : Plus de 1 Md de dirhams de chiffre d'affaires en 2020
Sur un tout autre registre, le rapport nous apprend que la situation financière des sociétés de gestion reste globalement solide en 2020. Les agrégats financiers consolidés des sociétés de gestion évoluent favorablement profitant de la bonne dynamique du secteur. En effet, le chiffre d’affaires consolidé des sociétés de gestion au titre de l’année 2020 s’est établi à 1,42 milliard de dirhams contre 1,36 milliard de dirhams un an auparavant, soit une hausse de 4,4%.
Impacté par une hausse des charges plus importante que celle des produits, le résultat net consolidé du secteur s’est établi en légère baisse de 2% en 2020 contre une hausse de 11,2% en 2019.
Dans ce sillage, les ratios de rentabilité reculent avec une marge bénéficiaire qui ressort à 31,59% en 2020 contre 32,34% en 2019 ainsi qu’un Return On Equity (ROE) qui passe de 58,01% en 2019 à 56,81% en 2020. Sur le plan individuel, il convient de préciser qu’une seule société de gestion affiche un résultat d’exploitation ainsi qu’un résultat net négatif. Au niveau de la structure bilancielle, le secteur consolide son assise financière, avec un ratio « Fonds propres/Total bilan » qui ressort à 51,99 % en 2020 contre 51,55% en 2019.
A.H