FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) s’est engagée jeudi à procéder à nouveau à des rachats d’actifs “aussi longtemps que nécessaire” et a enfoncé son taux de dépôt un peu plus bas dans le négatif dans le but de redonner de la vigueur à une économie de la zone euro en difficulté, autant de décisions que les marchés ont saluées.
Intervenant dans les dernières semaines du mandat du président Mario Draghi, elles préparent le terrain à une probable détente monétaire par la Réserve fédérale américaine et par la Banque du Japon la semaine prochaine, avec toujours pour but d’étayer une économie mondiale dont la croissance patine.
Mais déjà des questions se posent quant à la capacité des dernières mesures de la banque centrale à relancer l’économie de la zone euro face aux tensions commerciales internationales et aux risques liés au Brexit.
“Les informations reçues depuis la dernière réunion du Conseil des gouverneurs indiquent que la faiblesse de l’économie de la zone euro dure plus que prévu, que persistent des risques baissiers importants ainsi que des pressions inflationnistes discrètes”, a observé Mario Draghi en conférence de presse.
La BCE a réduit son taux de dépôt de 10 points de base à -0,5%, a promis que les taux resteraient bas longtemps et dit qu’elle reprendrait le 1er novembre ses rachats d’actifs obligataires - autrement dit son programme d’assouplissement quantitatif (QE) - au rythme de 20 milliards d’euros par mois.
Ce nouveau programme autorisera en particulier le rachat d’obligations corporate à un rendement inférieur au taux de dépôt. Précédemment, seules les obligations du secteur public pouvaient être rachetées en deçà du taux de dépôt.
A propos des achats d’obligations, la BCE précise que “le Conseil des gouverneurs prévoit d’y avoir recours aussi longtemps que nécessaire pour renforcer les effets accommodants de ses taux d’intérêt et d’y mettre fin peu avant de commencer à relever les taux d’intérêt directeurs”.
Une telle formulation laisse penser que les achats pourraient durer des années, tandis que les marchés pour leur part ne voient pas les taux remonter pendant encore une dizaine d’années.
La relance du QE a suscité l’opposition de Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, de François Villeroy de Galhau, celui de la Banque de France, et de Benoît Coeuré, l’un des membres du directoire, a-t-on appris de trois sources.
Le marché obligataire de la zone euro a monté en réaction à ces mesures et a brièvement fait repasser l’euro sous 1,10 dollar, le marché y voyant un facteur susceptible de faire monter l’inflation.
Mais vers 16h00 GMT, la monnaie unique était remontée à 1,1070 dollar, au-dessus du niveau auquel elle évoluait avant l’annonce des décisions du Conseil des gouverneurs. Parallèlement, les principales Bourses de la zone euro ont fini en hausse mais sous leurs plus hauts niveaux du jour.
Pour l’heure, les banques payeront encore plus cher le dépôt de leurs réserves excédentaires auprès de la BCE mais celle-ci veut leur permettre d’amortir une partie de cette charge pour qu’elles continuent de prêter à l’économie.
Pour ce faire, la facilité de dépôt sera modulée et la BCE aidera les banques d’une autre manière encore en assouplissant les conditions de ses prêts à long terme.
DOUTE SUR LA CAPACITÉ DE LA BCE À “FAIRE LA DIFFÉRENCE”
Le précédent programme QE de la BCE, d’un montant de 2.600 milliards d’euros, n’a connu qu’un succès limité pour ce qui est de stimuler l’activité économique.
Ainsi, l’institut de conjoncture Ifo a abaissé jeudi sa prévision de croissance pour l’Allemagne en 2019 et annoncé que la première économie d’Europe serait en récession au troisième trimestre.
“Est-ce que l’attitude plus énergique de la BCE fera une différence? Pas tant que ça”, observe Holger Schmieding, analyste de Berenberg.
“Des chocs externes en série, notamment le conflit commercial sino-américain et le gâchis du Brexit, ont fait dérailler la reprise de la zone euro. Au vu d’une incertitude aussi prégnante, même si l’on abaisse les coûts de financement des entreprises et des ménages, cela n’augmentera pas sensiblement la consommation ou l’investissement.”
L’inflation persiste à évoluer en deçà de l’objectif d’un peu moins de 2% de la BCE depuis 2013 et il lui fallait donc agir pour préserver sa crédibilité.
Il est vrai qu’avec une Réserve fédérale elle-même embarquée dans une détente des taux, elle n’avait d’autre choix qu’assouplir pour éviter une montée rapide de l’euro qui aurait eu pour effet de freiner encore un peu plus l’inflation.
Mais les détracteurs de Draghi font valoir que les plus gros problèmes auxquels la zone euro est confrontée lui sont extérieurs et donc hors de portée de la BCE, altérant d’autant ses chances d’être efficace.
Ils ajoutent que la zone euro subit un ralentissement et non une récession et que les rachats obligataires, l’outil le plus puissant de la BCE, devraient être réservés à une réelle situation de crise, d’autant, disent-ils encore, que la banque centrale a brûlé la plus grande partie de ses munitions lors de ses précédentes offensives de stimulation de l’économie.
Certains disent enfin qu’avec l’arrivée de Christine Lagarde à la tête de l’institution le 1er novembre, il vaut mieux ne pas s’engager dans des manoeuvres qui lui lieraient les mains.