LONDRES/FRANCFORT (Reuters) - La Banque centrale européenne (BCE) prépare une structure de défaisance pour y transférer des centaines de milliards d’euros de prêts qui risquent de ne pas être remboursés en raison de la crise du coronavirus, a appris Reuters de deux sources proches du dossier.
Ce projet vise à protéger les banques d’une deuxième lame dans la crise économique provoquée par l’épidémie de COVID-19, l’envolée attendue du chômage risquant de mettre de nombreux ménages en difficulté et de les rendre incapables de rembourser leurs prêts.
La BCE a mis en place un groupe de travail pour réfléchir à ce projet de “bad bank” et les travaux se sont accélérés ces dernières semaines, a précisé l’une des sources. Sollicité, l’institut de Francfort n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet.
Le montant des créances dans la zone euro dont on estime qu’elles ne seront probablement jamais remboursées intégralement dépasse déjà 500 milliards d’euros, selon les statistiques officielles, qui portent aussi bien sur les crédits à la consommation que sur les prêts immobiliers ou automobiles. D’après les sources, ce montant devrait encore augmenter sous l’effet de l’épidémie et pourrait même doubler à 1.000 milliards d’euros, fragilisant un peu plus le bilan des banques et limitant leur capacité à distribuer du crédit.
Une des sources a déclaré que la nouvelle présidente de la BCE, Christine Lagarde, avait consulté des banquiers et des responsables de l’UE sur l’idée d’une “bad bank” ces dernières semaines, un projet déjà discuté et rejeté il y a deux ans.
Pour que ce projet voie le jour, le soutien de l’Allemagne, première économie de la zone euro, est indispensable. Or Berlin s’y oppose depuis des années, rejetant toute idée d’une responsabilité partagée sur les dettes.
L’Allemagne a cependant assoupli récemment sa position en acceptant une forme de mutualisation de la dette dans le cadre du plan de relance post-épidémique, financé par des emprunts émis par la Commission.
Selon les sources, l’une des pistes envisagées impliquerait le Mécanisme européen de stabilité (MES), dont le rôle est de fournir une aide financière aux pays de la zone euro ou aux banques en difficulté, en tant que garant de cette “bad bank”.
Cette structure de défaisance émettrait alors des obligations que les banques achèteraient en échange de portefeuilles de prêts non remboursés. Les banques pourraient ensuite déposer en collatéral ces obligations auprès de la BCE pour obtenir des financements, a expliqué l’une des sources.
Interrogé mardi sur le projet de “bad bank”, Andrea Enria, président du conseil de surveillance prudentielle à la BCE, a dit soutenir l’idée mais a ajouté qu’il était pour le moment prématuré d’en discuter en raison des incertitudes sur la gravité de la crise liée au coronavirus.
Le projet pourrait aussi se heurter à des oppositions politiques. Markus Ferber, député allemand au Parlement européen, a rappelé que l’Allemagne restait opposée à une mutualisation des garanties. “La première étape devrait être des bad banks nationales”, a-t-il dit.
Pour l’eurodéputé italien Marco Zanni, le processus de décision de l’UE est trop compliqué et trop lent.
“Au regard des crises passées, l’expérience montre que les solutions européennes arrivent trop tard. Lorsqu’on fait face à une crise (...) on doit agir en quelques jours ou semaines, pas en mois ou en années”, a-t-il déclaré.
La Commission européenne a déclaré qu’aucun “travail officiel” n’était en cours sur le sujet.