EMISSION DU 01/09 - par bourse news

Banques participatives : Attention à ne pas tuer le projet dans léoeuf

Outres les risques réputationnels dus à une mauvaise perception de la part du public, le risque de concurrence en provenance des banques conventionnelles ou le traitement fiscal non équitable, la nature même des banques participatives et la taille de leur marché interbancaire sont des risques de départ qu'il faudra résoudre avant toute chose. A cela s'ajoute le cauchemar de toute banque : La réglementation Bâle.  Plongée dans la salle des machines d'une activité dont le succès ne tient qu'à très peu de choses.

 

 

Une industrie consommatrice de fonds propres

Une banque participative, une vraie, celle qui offre des produits compatibles avec la Charia à ses clients se rapproche plus dans son fonctionnement d'un capital-investisseur que d'une banque conventionnelle : Le traditionnel risque de crédit chez les banques conventionnelles est plus marqué chez ces établissements. Et dans la réglementation Bâle, qui dit plus de risques, dit plus de fonds propres. Au niveau international, malgré le développement rapide des banques participatives, la réglementation n’a pas prévu de traitement particulier pour cette catégorie de banques. Les banques participatives doivent prendre en compte les exigences liées aux normes de Bâle III destinées à mieux appréhender les risques bancaires et principalement le risque de liquidité et des exigences en fonds propres. En effet, les normes prudentielles obligent les banques à avoir une certaine quantité d’actif liquide de haute qualité, appelé High quality liquidity assets (HQLA) afin de pouvoir faire face à une sortie brutale de liquidité en cas de stress sur une période de 30 jours. Cette exigence réglementaire est, rappelons-le, entrée en vigueur l’an dernier pour les banques conventionnelles marocaines. Les banques participatives ont également besoin de ce type de papier, à la différence qu’il doit être conforme à la charia. Obstacle !

Pour ce qui est des capitaux propres, les banques participatives et pour assurer le développement et la croissance de leur activité dans le respect des règles prudentielles, ont besoin d’émettre des Sukuks. Ces derniers seront considérés, s’ils respectent un certain nombre de critères, comme des fonds propres ou quasi-fonds propres. Néanmoins, en l’état actuel de la réglementation, une telle émission de sukuks par les futures banques participatives n’est pas encore possible. Les banques devront attendre en effet un arrêté du ministère des Finances pour être en mesure d’émettre ce genre d’instruments. Dans un horizon plus large, l’adoption  des normes de Bâle III est de nature à accroître la résilience du secteur de la Finance participative au Maroc. A terme, l’introduction de nouveaux tampons de fonds propres permettra aux banques participatives de mieux répondre à la nature cyclique de l’économie et des secteurs dans lesquels elles opèrent. Aussi, l’introduction du ratio de couverture de liquidités (LCR) pourrait répondre aux faiblesses de long terme du secteur, en particulier le manque d’actifs liquides de haute qualité dont elles souffrent (au Maroc, ces actifs de haute qualité sont essentiellement composés des Bons du Trésor). Mais encore une fois, leur activité assimilée à du capital-investissement sera toujours plus consommatrice de fonds propres que chez les banques traditionnelles qui prennent des garanties. 

 

Norfadelizan Bin Abdul Rahman, anciennement président du groupe bancaire maybank, spécialisé dans la finance islamique, et aujourd'hui consultant à travers le monde, explique à Boursenews ce qu'il faut absolument faire pour réussir ce projet : «Il faut que les banques participatives, filiales ou fenêtres soient suffisamment capitalisées pour faire face à Bâle III. Autrement, elles seront incapables de financer les projets de leurs clients ». Pour lui, lancer des banques participatives sous-capitalisées ferait de cette activité un marché anecdotique qui tombera rapidement dans les oubliettes avec beaucoup de rejets de dossiers. Norfadelizan explique, par ailleurs, que "le meilleur lancement possible passe par l'offre de produits simples, charia Compatibles et proches des produits bancaires classiques". Pas la peine de se compliquer l'existence alors que le marché est embryonnaire.

Réussir le marché interbancaire participatif

Les banques participatives devront se financer quotidiennement. Norfadelizan dirigeait une banque en Malaisie qui traitait sur un marché interbancaire islamique de près de 50 Mds de dirhams par jour. Ce marché est tellement liquide qu'il arrive des fois que le coût de refinancement des banques islamiques soit inférieur à celui des banques classiques. Résultat : Ces banques deviennent compétitives.

Le Maroc a l'avantage de lancer plusieurs banques participatives en même temps, en plus de trois fenêtres. D'autres pays ont démarré avec une seule banque, poussant leurs Banques centrales à intervenir comme contrepartie immédiate pour assurer le refinancement. Selon Anas Belkhadir, de la Direction de la supervision bancaire à Bank Al-Maghrib, "la Banque centrale n'aura pas vocation à intervenir sur ce marché. Son rôle est d'éviter les périodes de stress, le marché devra s'autofinancer". A noter que les fenêtres participatives des filiales de groupes français pourront également se refinancer auprès de leurs maisons-mères à travers des certificats conformes à la Charia.

Le Tawarruq jugé non conforme au Maroc 

Le marché interbancaire participatif devra donc trouver le moyen de se financer de manière hermétique. Le Tawarruq, utilisé depuis longtemps au Moyen-Orient et sur la place londonienne, consiste en une murabaha inversée et se décompose en plusieurs étapes (en pratique quasi simultanées). Il permet de rendre ce marché rapidement liquide. Or, le Conseil Supérieur des Oulémas a jugé cette pratique non conforme à la Charia. Ce type de produits est quelque peu controversé. Parce que l'intention des achats de produits de base n’est pas pour l'utilisation ou la propriété de l'acheteur. Le Conseil Supérieur des Oulémas admet que ces transactions ne sont pas conformes à la charia. Son argument est que l'absence de toute activité économique réelle crée de l'intérêt, ce qui est interdit par la charia. Le Tawarruq ne sera donc pas utilisée au Maroc. Il restera un seul moyen à mettre en place : L'émission de Sukuks.

Le Tawarruq permet de fluidifier le marché interbancaire islamique. Mais il est jugé non conforme à la Charia par le Conseil supérieur des Oulèmas. Il ne sera donc pas utiliser au Maroc. Cette pratique permet de gagner de l'argent sans aucune activité réelle derrière. 

 

 

Si Bank Al-Maghrib n'a pas vocation à fluidifier ce marché, le Trésor sera alors dans l’obligation de multiplier ses sorties en émission de Sukuks, pour s’assurer de la liquidité et de la pérennité du développement de ces banques. La première émission de Sukuks souverains en dirhams sur le marché domestique aura lieu avant la fin du premier semestre 2017. Il s’agit des Sukuks Ijara, la structure la plus fréquente pour les émissions souveraines. Mais au-delà, c'est un véritable programme d'émissions périodiques qui doit être mis en place.

La cherté des produits halals, une autre entrave pour le développement des banques participatives

En principe, les produits proposés par les banques participatives sont plus chers que ceux proposés par les banques classiques, car le recours à des subterfuges pour contourner l’interdiction d’intérêt rend les produits et services bancaires participatifs coûteux. En effet, la banque n’applique pas d’intérêt à un prêt, mais elle se rémunère par le biais de commissions définies au préalable avec le client. C’est ainsi qu’au Maroc, les produits islamiques sont deux à trois fois plus coûteux que les produits plus classiques pour l'instant.

L’assurance Takaful pour résoudre le problème

Rappelons que le concept du produit Takaful est basé sur la coopération mutuelle. Le produit fonctionne comme une garantie conjointe selon laquelle tous les participants apportent mutuellement leurs parts des primes dans un fonds qui sert à indemniser tout participant souffrant d’une perte ou d’un dommage. Ce concept permet de mutualiser les risques et de répartir les pertes éventuelles pour l’ensemble des assurés. L'arrivée des premières assurances Takaful apportera de la liquidité sur le marché interbancaire participatif, puisque ces assurances doivent placer leurs excédents dans des produits conformes à la Charia : En achetant des Sukuks émis par les banques participatives, ces dernières pourront lever plus rapidement des fonds, le coût du financement baissera et elles deviendront compétitives aux yeux du client final. La boucle sera alors bouclée.  L'assurance Takaful devra d'ailleurs jouer un rôle majeur sur plusieurs plans dans la finance participative marocaine. On en parlera bientôt. 

 

Par Youssef Seddik. 

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