Avec la fréquence accrue des saisons des pluies médiocres, la sécheresse pourrait devenir un défi structurel, impactant sérieusement l'économie à long terme.
La rareté de l’eau pourrait entraîner une baisse du PIB réel pouvant atteindre 6,5%.
Les récentes sécheresses ont rappelé avec force l'exposition de l'économie marocaine aux chocs pluviométriques. Les grandes oscillations des niveaux de précipitations ont contribué à amplifier la récession de 2020 et la reprise de 2021 et ont ralenti la croissance en 2022 et 2023. Aujourd'hui, le retard pluviométrique laisse une fois encore planer le risque d'une nouvelle année de sécheresse en 2024.
Le Maroc est l'un des pays les plus touchés par le stress hydrique au monde, un problème qui devrait s'aggraver dans les décennies à venir. Entre 1960 et 2020, la disponibilité par habitant des ressources en eau renouvelables est passée de 2 560 m3 à environ 620 m3 par personne et par an, plaçant le Maroc dans ce qui est considéré comme une situation de stress hydrique structurel (inférieur à 1 000 m3), se rapprochant rapidement du seuil absolu de pénurie d'eau de 500 m3 par personne et par an.
Les récentes déclarations du ministre de l'Agriculture devant le parlement sont révélatrices de l'ampleur du défi. La pluviométrie actuelle a décliné de manière significative, enregistrant une baisse de 54% par rapport à la moyenne des 40 dernières années, avec les ressources hydriques chutant de manière alarmante de 83%, atteignant un niveau critique de 600 millions de mètres cubes. La décroissance des ressources hydriques des barrages est également marquée, passant de 18 milliards de m3 sur la période 1945-1980 à moins de 5 milliards de m3 au cours des cinq dernières années.
Ces tendances inquiétantes s'inscrivent dans un contexte où le pays a enregistré six années sèches consécutives depuis 2018, caractérisées par un déclin sans précédent des ressources hydriques, des réservoirs et des nappes phréatiques.
Actuellement, les derniers chiffres sur la pluviométrie ne présagent guère d'une amélioration en fin de saison, d'autant plus que le taux de remplissage des barrages stagne à un modeste 23%. En anticipant une éventuelle nouvelle année de sécheresse en 2024, les conséquences pourraient se faire sentir à travers une conjonction redoutable : une diminution des revenus, une hausse potentielle de l'inflation alimentaire et des implications budgétaires associées à l'intensification des mesures contre les effets de la sécheresse.
À très court terme, la reprise économique entamée fin 2023 a été stoppée par le retour de la sécheresse automnale, provoquant un retard dans le début de la campagne agricole 2023/24. Le déficit de pluviométrie des quatre premiers mois de la campagne a atteint 53% par rapport à une saison normale, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP). Malgré cela, la valeur ajoutée agricole pourrait augmenter de 0,5% en variation annuelle si les conditions météorologiques se rétablissent au cours du premier trimestre 2024.
Maintenant, si des pluies de dernière minute peuvent potentiellement sauver la croissance de cette année, c'est sur le long terme que se profile la véritable problématique.
Il faut dire qu'au cours des dernières décennies, les périodes de sécheresses au Maroc ont eu tendance à être suivies par de forts rebonds, et la récurrence de ces chocs n'a pas empêché une solide croissance à long terme du PIB agricole. À l'avenir, le changement climatique pourrait faire de la pénurie d'eau une condition plus permanente, ce qui aurait de graves répercussions à long terme sur l'économie.
Croissance à long terme : là où le bât blesse
Les impacts des sécheresses (chocs) et de la pénurie d'eau (facteur de stress à long terme) sur l'économie se manifestent différemment, mais pourraient se renforcer mutuellement. Historiquement, la production agricole - et donc le PIB - a tendance à rebondir après une sécheresse, avec un impact limité sur les tendances à long terme, comme en témoigne la forte croissance de la production agricole enregistrée au cours des dernières années (en 2021 par exemple). Toutefois, compte tenu du déclin structurel des ressources en eau, l'économie marocaine pourrait avoir plus de mal à rebondir après les sécheresses que par le passé, selon une étude de la Banque mondiale. Autrement dit, à long terme, le Maroc pourrait avoir du mal à récupérer les pertes de production agricole subies lors des années sèches.
Quant à elle, la raréfaction de l'eau pourrait entraîner d'importantes pertes de PIB. Selon une étude de la Banque mondiale, une réduction de la disponibilité de l'eau dans tous les secteurs de l'économie pourrait réduire le PIB jusqu'à 5,3%. Ces effets négatifs seraient amplifiés si les rendements des cultures devaient pâtir du changement climatique, et la baisse du PIB réel pourrait atteindre 6,5%.
D'un autre côté, l'adoption de pratiques d'utilisation efficiente de l'eau dans l'agriculture ne compenserait que partiellement les effets négatifs de la pénurie d'eau et du changement climatique sur le PIB, bien que les avantages de l'intégration de ces pratiques soient plus importants dans les scénarios de pénurie d'eau les plus graves, selon l'institution. Dans tous les scénarios, c'est le secteur agricole qui devrait souffrir le plus, réduisant ainsi sa participation au PIB. Mais les secteurs non agricoles seraient également touchés de manière significative, et la plupart des pertes globales de PIB s'expliqueraient par les impacts négatifs dans ces secteurs, étant donné leur plus grand poids dans l'économie.
En définitive, l'économie marocaine pourrait à plus long terme avoir plus de mal à se remettre des sécheresses, car la pénurie d'eau devient une condition plus permanente. En clair, le schéma économique de reprise en « stop-and-go » pourrait être modifié par la combinaison de sécheresses plus fréquentes et prolongées et d'un déclin structurel des ressources en eau, d'où la nécessité de réfléchir à des stratégies d'adaptation durable et efficace pour atténuer les impacts néfastes sur l'ensemble de l'économie et assurer une résilience à long terme.