Dans un discours lucide sur les contraintes, le wali de Bank Al-Maghrib soulève les contraintes politiques liées à l'adoption généralisée des monnaies digitales de Banque centrale à l'échelle mondiale.
Par K.A
Au lendemain du lancement du Bitcoin, plusieurs régulateurs avaient adopté une attitude prudente, dont les régulateurs marocains. Ils mettaient en avant les risques de conformité (blanchiment d'argent et financement du terrorisme) et les risques sur la stabilité financière. Mais les choses évoluent, de l'aveu même du wali de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri : «les Banques centrales ont rapidement compris que le statu quo n’est plus une option si elles veulent préserver leur rôle central d’émetteur de la monnaie».
Les Banques centrales en mission d'exploration
Plusieurs réflexions sur l’émission de MNBC ont été ainsi initiées et les travaux se sont vite accélérés avec l’implication d’organisations internationales comme le FMI ou la BRI ou encore la constitution de groupes de réflexion ad hoc réunissant des Banques centrales et d’autres institutions financières. «Au niveau de notre région, plusieurs Banques centrales avancent dans l'exploration des MNBC. Au Maroc en particulier, nous avons mis en place en 2021 un groupe dédié et nous aurons l’occasion d’aborder ses travaux plus en détail lors de la première session de cette rencontre», rappelle le gouverneur qui s'exprimait le 19 juin à l'occasion d'une conférence de haut niveau en présence de la DG du FMI. Cette dernière a d'ailleurs annoncé la mise en place par le fonds d'une plateforme internationale qui permettra l'interopérabilité des monnaies digitales des Banques centrales. Mais pour elle, le préalable à ce projet est une harmonisation des juridictions et des titres législatifs régissant ces monnaies à travers le monde.
Sur ce sujet, le wali a fait part d'un certain scepticisme, relevant que si le défi technologique est surmontable, il n'en demeure pas moins que la volonté politique doit suivre. Il rappelle ici les obstacles et entraves aux transferts des MRE par les régulateurs européens qui vraisemblablement ne sont pas enclins à faciliter les mouvements de capitaux vers les pays en voie de développement. Dans le cas du Maroc, la diaspora représente 8% du PIB, un chiffre non négligeable qui subit de plus en plus de contraintes. «Je ne pense pas que le problème et la solution technologique soient les plus difficiles à trouver, vu ce que l’on voit arriver en matière d’innovation et la rapidité avec laquelle vont ces innovations. Mais le problème se posera vraisemblablement au niveau politique. Parce que déjà, actuellement, nous en tant que pays en voie de développement avec un partenaire comme l’Europe, nous commencons à constater des difficultés en ce qui concerne les transferts de nos MRE. L’activité de nos banques dans ces régions est rendue difficile. Alors comment voulez-vous passer à une étape supérieure avec des solutions numériques pour un saut qualitatif… Je l’espère mais peut-être que je ne serai pas en poste quand ça viendra…" lance-t-il, provoquant des sourires dans la salle.
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Et le wali de conclure, «malgré les avancées réalisées, des questions fondamentales, notamment sur les apports de la MNBC et sur ses impacts sur les missions fondamentales des Banques centrales, restent toujours objet de débat. Il va sans dire à cet égard que les motivations et les défis d’une MNBC diffèrent d'un pays à l'autre, en particulier entre les économies avancées d’un côté et celles émergentes et en développement de l’autre».