Samedi 08 Juin 2019

Marchés : L'obligataire parie sur la récession, sans crainte sur l'inflation

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* Chute alarmante des rendements à long terme

* Le 10 ans US en retrait de 50 pb par rapport au pic d’avril

* Le 10 ans allemand à des plus bas records

* Les anticipations d’inflation dévissent aussi

 

 

LONDRES, 7 juin (Reuters) - Les marchés obligataires, qui avaient tablé avec succès pendant près de trois ans sur une reprise de l’économie mondiale, signalent de plus en plus manifestement des risques de rechute en récession et d’une faiblesse persistante de l’inflation pour les années à venir.

Plombés par l’escalade des tensions entre les Etats-Unis et ses partenaires commerciaux, les rendements souverains à long terme, considérés comme les indicateurs avancés parmi les plus fiables de l’évolution de l’activité économique et de l’inflation, ont replongé vers leur plus bas quand ils n’ont pas inscrit de nouveaux records à la baisse.

Le rendement des obligations du Trésor à 10 ans a chuté de 50 points de base en sept semaines pour se rapprocher de 2,0% et le taux des emprunts d’Etat allemands à 10 ans s’est encore un peu plus enfoncé en territoire négatif à des plus bas records.

Au Japon, en Grande-Bretagne, en Suisse ou en France, les rendements à long terme sont au plus bas depuis 2016, année durant laquelle les marchés avaient redouté un basculement de l’économie mondiale dans la récession après le vote des Britanniques en faveur du Brexit le 23 juin et en raison des signes d’un fort ralentissement de la croissance chinoise.

La récession est loin d’être acquise toutefois. Les marchés obligataires vont dans ce sens mais d’autres comme ceux des actions sont loin d’être aussi pessimistes.

Les tensions commerciales et leur extension avec l’ouverture par le président américain d’un nouveau front avec le Mexique sans oublier la menace de taxes sur l’automobile européenne et la décision de Washington de priver l’Inde de son statut commercial privilégié rendent la baisse actuelle des taux longs différentes des précédentes.

“Nous devons y faire attention”, a dit Franck Dixmier, responsable de la gestion obligataire d’Allianz Global, dont les actifs sous gestion totalisent 560 milliards de dollars.

“Nous savons d’expérience que les marchés obligataires sont assez bons pour prévoir les développements économiques à venir et ce qui est de plus en plus pris en compte ce sont les effets d’une escalade manifeste des tensions commerciales.”

Les anticipations de l’inflation future à l’échelle mondiale ont lourdement chuté en raison des craintes d’un ralentissement de la croissance voire d’une récession alors que les marges de manoeuvre des grandes banques centrales sont limitées après des années de politiques monétaires ultra-accommodantes.

Le signal baissier le plus manifeste est émis par la courbe de taux américaine avec une inversion entre les taux à trois mois et à 10 ans la plus marquée depuis 2007, soit quelques mois avant l’éclatement de la grand crise financière.

Une courbe des taux inversée, caractérisée par des taux à long terme inférieure aux taux à court terme, précède généralement le déclenchement d’une récession même si concomitance n’est pas causalité.

La majeure partie de la courbe des taux américaine est désormais en-dessous de l’objectif des fonds fédéraux fixé par la Réserve fédérale (Fed) dans une fourchette de 2,25% à 2,5%, une indication de la vigueur des anticipations de marché sur une prochaine baisse des taux directeurs.

Les niveaux des contrats à terme sur les taux courts impliquent que la Fed pourrait baisser ses taux dès le mois prochain.

“La courbe des taux demeure un très bon indicateur parce que sa corrélation avec les variables macroéconomiques n’a pas changé au cours des 20 dernières années”, a dit Luca Paoloni, stratège chez Pictet Asset Management, qui a ajouté qu’une récession, bien que peu marquée, était probable.

Les signaux envoyés par les marchés obligataires ne sont toutefois plus aussi faciles à interpréter.

La puissance prédictive de la courbe des taux américaine a été perturbée par la politique monétaire ultra-accommodante de la Fed et doit prendre en compte la demande structurelle d’obligations par des investisseurs institutionnels comme les fonds de pension et les assureurs. Ces éléments ont contribué à déprimer les taux longs, facilitant l’inversion de la courbe des taux, surtout quand les niveaux de taux sont déjà très faibles.

Le chômage, qui est toujours reparti à la hausse avant les récessions aux Etats-Unis est actuellement à des plus bas de près de cinquante ans. Wall Street résiste bien tout comme les segments les plus risqués du marché du crédit.

Les données conjoncturelles, bien que décevantes, sont loin d’être catastrophiques. L’indice ISM des directeurs d’achats du secteur manfucturier aux Etats-Unis est certes tombé à un plus bas depuis 2016 au mois de mai mais il demeure au-dessus du seuil de 50 qui sépare les phases de contraction et d’expansion de l’activité.

Mark Dowding, responsable des investissements de BlueBay Asset Management, souligne qu’en 2016 lorsque les inquiétudes sur la croissance mondiale avaient provoqué des turbulences sur les marchés, l’indice ISM manufacturier était tombé à 48 et les cours du pétrole autour de 30 dollars. Si ces derniers sont actuellement à des plus bas de quatre mois, ils sont deux fois plus élevés qu’il y a trois ans.

GUERRE COMMERCIALE ET FAIBLESSE DE L’ÉCONOMIE

Les tensions commerciales pourraient toutefois rapidement envenimer les choses, estiment analystes et investisseurs.

Les rendements des Treasuries à deux ans ont enregistré leur plus forte baisse hebdomadaire depuis 2009 la semaine dernière juste au moment où le président américain menaçait le Mexique de droits de douane sur ses exportations aux Etats-Unis.

Si les marchés espéraient jusqu’au mois dernier une issue favorable aux différends commerciaux initiés par les Etats-Unis, Neil Mackinnon, stratègee macroéconomie chez VTB Capital, estime que “désormais, les investisseurs voient le conflit comme un élément d’une bataille hégémonique plus large, plus complexe et plus durable et qui est plus dangereuse et incertaine pour les marchés.”

Les grandes banques d’investissement ont médifié leurs prévisions de cropissance et d’orientation de la politique monétaire. Morgan Stanley s’attend désormais à une stagnation de l’activité sur ses niveaux actuels jusqu’à la fin de l’année. JP Morgan prédit deux baisses de taux directeurs aux Etats-Unis cette année et Goldman Sachas a dit que “son scénario de risques baissiers” impliquait un taux à 10 ans en Allemagne à -0,50% contre -0,25% actuellement.

Mais les organismes internationaux ne cessent de revoir à la baisse leurs prévisions pour le reste de l’année, à l’exemple du Fonds monétaire international (FMI) et de l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE) dans leurs projections de printemps.

Plusieurs banques centrales ont déjà renoué avec l’assouplissement monétaire et la baisse des taux comme celles de l’Inde, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande et les responsables de la Fed ont clairement évoqué cette possibilité.

Le président de la BCE, Mario Draghi, même s’il a déçu jeudi les attentes des marchés, a lui aussi ouvert la voie à un nouvel assouplissement.

La baisse des rendements longs avec les craintes de ralentissement de l’économie mondiale lié aux tensions commerciales s’est accompagnée de flux massifs sur les fonds obligataires sur la semaine au 5 juin et d’une poursuite de l’hémorragie sur les fonds actions malgré le rebond des Bourses mondiales depuis le début du mois, montre une étude hebdomadaire publiée vendredi par Bank of America Merrill Lynch Global Research.

L’encours obligataire affichant des rendements négatifs atteint pourtant plus de 10.000 milliards de dollars à l’échelle mondiale.

L’INFLATION AUX ABONNÉS ABSENTS

Pour les banques centrales, et tout particulièrement la BCE, le signal le plus alarmant envoyé par les marchés obligataires est l’absence d’anticipations de redémarrage de l’inflation.

Les anticipations à long terme des marchés concernant l’inflation sont bien en deçà des objectifs des banques centrales.

Les anticipations d’inflation à 5 ans dans 5 ans, une mesure très suivie par la Banque centrale européenne, sont tombées jeudi à un plus bas record après les annonces de politique monétaire de la BCE, en-dessous de 1,25% et bien loin de son objectif d’une hausse des prix inférieure mais proche de 2% qu’elle n’a pas réussi à atteindre depuis 2013.

“Il semble très difficile de voir l’inflation dépasser l’objectif à un horizon de 5 à 10 ans”, a dit Mark Dowding.

Même si les tensions commerciales s’apaisent et avec elles les craintes de récession, d’autres incertitudes comme l’endettement public de l’Italie ou le Brexit laissent penser que les obligations garderont leur attrait encore quelques temps, prévient Franck Dixmier.

“S’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que je ne veux pas être short sur les Bunds (les emprunts d’Etat allemands) à ce stade.”

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