EMISSION DU 06/10 - par bourse news

Monnaie : Les économistes toujours aussi partagés sur l'opportunité d'un assouplissement quantitatif au Maroc

La monnaie hélicoptère sous sa forme de transfert direct aux ménages n'est pas sans risque. Elle doit être accompagnée par une une stratégie de communication "claire et rassurante". Photo archives. 


 

♦Certains économistes défendent le passage par un assouplissement quantitatif pour soutenir l'offre lors de la relance post-Covid, quand d'autres estiment que l'économie ne peut pas absorber cet outil monétaire. 

 

♦D'autres plaident pour une distribution de l'argent directement par la Banque centrale aux ménages, de manière gratuite mais temporaire, pour soutenir la demande. 

 

 

 

Faut-il ou non passer par un Quantitative easing (QE) pour aider à la relance économique post-Covid ? C'est la question qui partage actuellement monétaristes, banquiers et autres analystes marocains alors que Bank Al-Maghrib ne s'est toujours pas exprimée sur la question.  

 

Est-il envisageable que la banque centrale crée de la monnaie pour acheter des actifs obligataires, sur le marché primaire ou secondaire, pour libérer de la capacité financière aux agents économiques et permettre un financement du déficit budgétaire sans tensions sur les taux ? Des analystes de CFG Bank se sont montrés plutôt favorables à cette option dans une note récente où ils expliquent leur conception de ce phénomène (lire ici). Mais cet avis ne fait pas l'unanimité. 

 

 

Ahmed Zhani, Economiste de CDG Capital, s'est montré plutôt sceptique lors d'un webinaire organisé par l'APSB et la Bourse de Casablanca ce 9 juin sur les perspectives des taux en période post-Covid au Maroc. Selon lui, Bank Al-Maghrib dispose de suffisamment d'outils pour injecter des liquidités sans faire appel à ce type de mécanismes. Elle peut ainsi garder et même intensifier sa politique accommodante sans passer par la case QE. Il pense à l'instrument des avances de liquidités qui peuvent aller jusqu'à une année maintenant ou encore au taux directeur qui est à 2% et qui offre encore de la marge en terme de baisse. 

 

"BAM peut inonder le marché en cash sans avoir à recourir à ce type d'instruments", explique cet ancien de la banque centrale. 

 

 

La théorie de l'éponge 

Selon Zhani, l'un des freins majeurs à l'adoption d'un QE au Maroc est le manque de profondeur de l'économie et du système financier. Dans les pays développés, l'économie et les marchés peuvent absorber ces liquidités. Mais lorsque le marché financier manque de profondeur, cela peut créer des bulles et des phénomènes inflationnistes. Il compare cela à une éponge sur laquelle on verserait de l'eau. "Si l'éponge n'est pas épaisse, l'eau va déborder. C'est l'inflation". C'est le lien entre masse monétaire et économie réelle qui faut surveiller. 

 

Autre contrainte : où orienter la monnaie ? Vers l'offre ou vers la demande ?  "Si c'est vers la demande, cela devrait générer de l'inflation", selon l'économiste. Un avis que ne fait pas l'unanimité comme on le verra plus bas.  

 

Si en revanche ces liquidités sont orientées du côté de la production, cela devrait créer de la croissance. 

 

En résumé, pour lui, la masse monétaire ne devrait pas dépasser la taille de l'économie. Et si injections de liquidités il y a, autant soutenir l'offre pour créer de l'emploi ou de la valeur ajoutée selon les secteurs ciblés. 

 

 

La monnaie hélicoptère fait son chemin auprès des économistes 

Le caractère inflationniste d'un QE qui soutiendrait la demande, plus communément appelé monnaie hélicoptère, et qui consiste à soutenir monétairement les ménages au lieu d'acheter des actifs financiers avec la monnaie créée, est une solution que les économistes privilégient et défendent depuis le début de la crise. Karim El Mokri, Économiste Chercheur, vient de rejoindre ce camp avec un nouvel article publié à l'occasion. 

 

Selon lui, le Maroc peut étudier la faisabilité de nouveaux instruments de relance économique durant la phase post-Covid-19, qui ne passent pas par le budget, à l’image de l’hélicoptère monétaire. Et d'expliquer que "les craintes par rapport à un effet inflationniste incontrôlable qui pourrait résulter de l'utilisation de la monnaie hélicoptère, ne semblent pas très justifiées pour le cas du Maroc", indiquant que L’inflation actuelle est très basse et aurait même atteint un niveau historiquement bas en 2019, soit 0,2%", alors que l'output gap, qui mesure les pressions de la demande, est resté négatif depuis le début de l’année 2018. Ceci permettraient au Maroc de soutenir la demande par la monnaie hélicoptère, sans craindre une inflation excessivement élevée durant la phase de relance. 


Il constate, à cet effet, qu'il est possible qu’en contournant les banques commerciales, la monnaie hélicoptère puisse engendrer, dans un premier temps, un manque à gagner pour ces dernières, ajoutant que cet outil épargnerait, néanmoins, au système bancaire marocain une hausse importante des créances en souffrance dans cette période de crise.

Bien que la monnaie hélicoptère puisse prendre plusieurs formes, El Mokri opte, pour le cas du Maroc, pour la configuration où la Banque centrale distribuait de l'argent aux ménages de manière gratuite mais temporaire.

La monnaie hélicoptère sous sa forme de transfert direct aux ménages "ne serait pas non plus sans risque", tempère le chercheur qui suggère un certain nombre de conditions à satisfaire pour maximiser les bénéfices de cet outil et pour en minimiser les retombées négatives potentielles. Il recommande notamment une stratégie de communication "claire et rassurante" et de n'utiliser cette monnaie que lorsque les autres mesures disponibles "s'avéreraient insuffisantes pour relancer rapidement la demande". La monnaie hélicoptère "ne doit pas être considérée comme un substitut" aux mesures" classiques d'une politique monétaire accommodante ou d’une politique budgétaire expansive, mais plutôt comme une mesure complémentaire à ces dernières, souligne-t-il, estimant qu'un policy mix est "plus que jamais nécessaire".

Au-delà des prérequis à mettre en place en cas d'adoption de la monnaie hélicoptère, le Maroc devrait "rester vigilant par rapport aux risques qu’elle peut présenter", d'après le chercheur. Selon lui, dès l’apparition de signaux perturbateurs, la Banque centrale ne doit pas hésiter à désactiver le mécanisme de la monnaie hélicoptère (des clauses de sortie s’imposent).

L'hélicoptère monétaire "n’est qu’un instrument temporaire, la phase Post-Covid-19 nécessitant d’étudier d’autres pistes qui s’inscriraient davantage dans la durée", a estimé M. El Mokri. La phase Post-Covid-19 "devra plutôt s'appuyer sur des réformes de moyen et long termes qui traceraient les contours d’une nouvelle manière d’anticiper les chocs et d’y réagir", a-t-il conclu. La monnaie hélicoptère ou l’hélicoptère monétaire est un concept qui date de 1969. Il a été évoqué, pour la première fois, par l’économiste Milton Friedman dans son ouvrage "The Optimum Quantity of Money". 

 

En tout cas le débat est lancé et il promet d'être passionnant. 

 

A.H

 

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