Des journalistes appliqués mardi dans la grande salle de conférence de Bank Al-Maghrib dans l’attente de l’arrivée de Abdellatif Jouahri pour commenter la décision de relever le taux directeur de 50 points de base. A 16H00, heure habituelle du démarrage de la conférence, un responsable de la communication annonce au micro que la conférence de presse est annulée pour «des raisons personnelles ». Peut-être un souci d’agenda du Wali ou une urgence de haut niveau...On en saura plus.
En tout cas, le marché n’aura pas les réponses à ses questionnements dans l’immédiat, surtout que la date du report n’a pas été communiquée. Et à défaut d’analyser les éléments de langage du Wali, le marché devra se rabattre sur les quelques paragraphes du communiqué qui donne le ton de ce premier Conseil de 2023.
Décision prévue, argumentaire inattendu
Le Conseil de BAM a donc décidé d’augmenter le taux directeur de 50 points de base. C’est la troisième hausse consécutive en 6 mois.
La décision était largement anticipée par les opérateurs. D’une part, car il y a nécessité de garder le cap et suivre la tendance des autres Banques centrales dans le monde et, d’autre part, il faut ancrer les anticipations d’inflation des opérateurs locaux alors que la hausse des prix à la consommation demeure élevée avec un nouveau record en février à plus de 10%.
Mais c’est ici où les chemins de la Banque centrale et des marchés se séparent. Car les opérateurs estiment que le pic de l’inflation est atteint en ce moment même et que la baisse des matières premières, notamment le pétrole, et la meilleure tenue que prévu de la campagne agricole, feront que BAM lèverait le pied pour le reste de l’année avec, au pire, une dernière hausse de 25 pbs en juin ou septembre et que, chemin faisant, l’inflation s’ajusterait à la baisse. D'autant plus que BAM confirme un recul des prix des matières premières sur le plan international avec la normalisation progressive des conditions sur les marchés durant les derniers mois. "Les cours des matières premières sont revenus à des niveaux globalement proches de ceux enregistrés avant le début du conflit en Ukraine".
Après avoir terminé l’année 2022 à 99,8 dollars le baril en moyenne, le prix du Brent en particulier reculerait à 83,3 dollars sur l’ensemble de cette année et oscillerait autour de 80 dollars en 2024, selon la banque centrale. "De même, et suite au repli important affiché durant le second semestre 2022, les cours des denrées alimentaires devraient accuser des baisses de 10,4% en moyenne en 2023 et de 0,6% en 2024".
Malgré cela, la Banque centrale voit les choses autrement pour le Maroc. Elle estime même que l’inflation restera «élevée à moyen terme». Si ces phrases ont déjà été prononcées par le Wali en décembre, ce sont les nouvelles projections chiffrées qui devront laisser de marbre les opérateurs du marché financier. Car, selon la Banque centrale, l’inflation ressortirait en 2023 à 5,5% en moyenne et sa composante sous-jacente se situerait à 6,2%, soit une révision à la hausse de 2 points de pourcentage par rapport à la prévision de décembre dernier ! Le décalage entre les attentes du marché et celles de BAM sont importantes. BAM explique sa position essentiellement par la flambée des prix de certains produits alimentaires.
Un ton encore plus hawkish qui interroge aussi sur l'argumentaire de BAM étant donné que cette inflation serait tirée par un choc de l’offre dans l’alimentaire que la hausse du taux directeur ne devrait pas pouvoir cibler en théorie !
Difficile, en manque d'explications à date, de comprendre comment le taux directeur peut casser cette spirale choc de l'offre - inflation.
Bank Al-Maghrib indique aussi vouloir «prévenir» l’enclenchement de spirales inflationnistes auto-entretenues et renforcer davantage l’ancrage des anticipations d’inflation en vue de favoriser son retour à des niveaux en ligne avec l’objectif de stabilité des prix. Mais avec une inflation sous-jacente attendue à 6,2% en 2023, il y a encore du travail semble-t-il...
Ces nouvelles anticipations d'inflation peuvent remettre à plus tard le fameux pivot de la politique monétaire et avec lui la stabilisation du marché des capitaux dont la méforme s'est accentuée depuis septembre 2022 et le resserement de la politique monétaire.