EMISSION DU 04/06 - par bourse news

Houda Chafil: “2021 peut être l'année de la titrisation”

       De récents textes réglementaires ont enfin permis le démarrage de la titrisation dite synthétique au Maroc, ce qui va permettre aux acteurs du secteur financier de dégager des fonds propres et renforcer leur rôle dans le financement de la relance. Houda Chafil, Directeur Général de Maghreb Titrisation, acteur de référence en la matière au Maroc, nous explique les enjeux de ce mécanisme dans une interview exclusive. 

 

 

CDG Capital et Maghreb Titrisation derrière le conseil et la structuration du premier fonds de titrisation synthétique au Maroc

Maghreb Titrisation est intervenu en tant qu’arrangeur et gestionnaire de la toute première opération de titrisation synthétique au Maroc, le FT Damane Tamayouz où, pour la première fois, ce mécanisme a permis de garantir un risque de crédit. Lors de la phase d’arrangement MT a collaboré avec les équipes de CDG Capital qui était conseiller financier et coordinateur entre les différentes parties prenantes. Il s'agit d’un Fonds de Placement Collectif en Titrisation (FPCT) souscrit par OCP, qui permettra de garantir, sous certaines conditions, des crédits accordés par Finéa aux fournisseurs éligibles du Groupe. Le fonds est d’une taille de 125 MDH et pourrait garantir jusqu’à 950 MDH de crédits. Les crédits couverts seront d’un montant compris entre 100.000 DH et 15.000.000 DH et seront accordés aux fournisseurs éligibles d’OCP, au titre du financement de contrats de fournitures de biens ou de prestations de service conclus ou en cours d’exécution. Ce modèle, salué par la place, pourrait être élargi ultérieurement à d’autres établissements financiers et permet, concrètement, à faire bénéficier les TPME de l'écosystème OCP de couvrir leurs besoins de trésorerie générés par la réalisation des marchés dès la signature des commandes, et ce jusqu’à 70% de la valeur du marché. Ces TPME pourraient également bénéficier de conditions avantageuses sans présenter de garanties additionnelles.

 

Boursenews: Nous connaissions la titrisation "classique". Mais pas la titrisation synthétique. En quoi consiste ce mécanisme ? 

Houda Chafil: La titrisation synthétique est le dernier né de la titrisation au Maroc. En effet, nous sommes passés par plusieurs étapes sur ce marché avec une première loi en 2001, puis une réforme en 2008 et la loi de 2013 qui a véritablement ouvert ce marché avec l'élargissement de la titrisation à différents initiateurs et à différents types d'actifs sous-jacents et de titres à émettre avec la possibilité notamment d'émettre à l'étranger, les sukuk etc...Mais  la loi de 2013 ne pouvait pas être appliquée en totalité car elle renvoyait à des textes d'application supplémentaires sur certains sujets comme la titrisation synthétique qui a nécessité près de 7 ans pour être en partie opérationnelle, avec un arrêté ministériel publié en septembre 2020 qui concerne la garantie du risque de financement. 

 

Maintenant, pour répondre à votre question, je rappelle que la titrisation classique consiste en l'acquisition temporaire ou définitive d'actifs par un fonds de titrisation qui va procéder à l'émission de titres sur le marché des capitaux pour l’acquisition de ces actifs. 

 

A Maghreb Titrisation, nous avons réalisé beaucoup d’opérations de titrisations classiques avec comme actifs sous-jacents des créances bancaires, commerciales, des actifs immobiliers et même le droit d’usufruit dans le cadre des certificats de sukuk souverain. Cette forme de titrisation classique permet de sortir les actifs concernés du bilan des établissements initiateurs et de bénéficier d'une trésorerie immédiate. 

A la différence de la titrisation classique, la titrisation synthétique permet à l’établissement initiateur de garder dans son bilan les engagements dont le risque de financement a été transféré. La titrisation synthétique n’apporte donc pas de cash à l’établissement initiateur. Elle l’aide plutôt à améliorer ses ratios prudentiels et garantir le risque de son portefeuille client.

 

Boursenews:  Pouvez-vous nous présenter un exemple ? 

Houda Chafil: Prenons le cas d'une banque qui opte pour une titrisation synthétique de ses créances. L'opération consiste en un transfert du risque de financement lié à ce portefeuille de créances à un fonds de titrisation. Le FPCT devient ainsi une sorte de « garant » vis-à-vis de l’établissement initiateur et supporte de ce fait  tous les retards ou défauts de paiement des engagements des clients de l’établissement initiateur envers ce dernier. 

 

Pour l'établissement initiateur, qui est une banque dans notre exemple, la créance demeurant dans son bilan, elle va continuer à lui générer des intérêts et donc du PNB. En revanche, elle n'aura plus besoin de mettre des fonds propres, sinon moins de fonds propres, en face de cette créance en fonction de la structuration choisie pour le Fonds. Si cette banque a par exemple un gisement de 1 milliard de dirhams de créances qu’elle souhaite couvrir contre le risque de financement, au lieu de titriser ce montant en totalité, elle ne ciblera que le risque de financement sur ce portefeuille, qui peut être, pour l'exemple, que de 100 MDH. 

 

Boursenews:  Comment quantifier ce risque ? 

Houda Chafil: On commence d’abord par analyser la performance historique de ces créances, leur typologie, ce qu'elles génèrent comme impayés, défaut, récupération sur ces défauts…  etc. On arrive finalement à quantifier un pourcentage de risque de crédit probable sur le portefeuille à titriser ou sur un portefeuille de créances équivalent. 

 

Boursenews: Pensez-vous que les banques vont exploiter cette méthode de titrisation à l'avenir ?  

Houda Chafil: La titrisation synthétique représente plusieurs avantages pour les banques comme je viens de l'expliquer dans l'exemple. Jusque-là, certains établissements de crédits ont utilisé la titrisation classique pour libérer des ressources et parfois même des fonds propres. Aujourd'hui, pour les établissements de crédit qui n’ont pas besoin de ressources, utiliser la titrisation synthétique va leur permettre de libérer des fonds propres et accroître automatiquement leurs capacités d’octroi de crédits. D'ailleurs, un texte réglementaire de la banque centrale est attendu bientôt pour fixer les règles prudentielles applicables à la titrisation synthétique chez les établissements de crédits. Cette circulaire complète la première circulaire sur la titrisation classique de créances et va expliciter le traitement prudentiel des positions de titrisation synthétique chez les établissements de crédit qu'elles soient investisseurs ou initiateurs. 

 

Boursenews: Aujourd'hui, qui peut procéder à ces opérations ?

Houda Chafil: A ce jour, les seules institutions qui peuvent recourir à la titrisation synthétique sont (i) les établissements de crédit (ii) la CDG (iii) La société nationale de garantie et de financement de l’entreprise (ex CCG) (iv) les institutions financières internationales autorisées à exercer des opérations de financement au Maroc (v) les associations de microcrédit et (vi) les établissements et entreprises publics. 

 

Boursenews: Ceci nous amène au financement de la relance. Pensez-vous que cet outil sera utilisé par les opérateurs ? 

Houda Chafil: Je suis plus que convaincue que c'est bien le moment de dynamiser le recours à la titrisation dans toutes ses formes pour répondre aux besoins de la relance économique. 2021 pourrait être l'année de la titrisation au Maroc.  Le ministère des Finances a travaillé d'arrache-pied pour mettre en place un mécanisme de titrisation sécurisé et un cadre réglementaire adéquat. Nous avons d'ailleurs remonté plusieurs propositions aux autorités de tutelle qui se sont montrées réceptives pour faire de la titrisation un axe fondamental du développement du marché des capitaux et de la relance. Je souligne encore une fois que cet outil permet d'alléger les bilans, libérer des capacités financières et donner aux acteurs qui financent l'économie et aux grands groupes industriels, de nouvelles ressources nécessaires à la relance.

En face, nous ressentons de plus en plus d’intérêt de la part des investisseurs pour la titrisation et ce pour plusieurs raisons. D'abord, le risque lié aux opérations de titrisation est de mieux en mieux appréhendé et il y a une meilleure lecture du risque lié aux opérations de titrisation par les investisseurs, bien qu'un travail d'explication et de pédagogie soit encore nécessaire vis-à-vis de tout l’écosystème. 

 

Boursenews: D'ailleurs, où placez-vous le cursueur du couple rendement/risque de cet instrument par rapport aux autres classes d'actifs ? 

Houda Chafil: On ne peut pas placer la titrisation dans ce schéma de comparaison car chaque opération a son propre risque et son propre rendement. Ce qu'il faut évaluer, en gardant en tête que la titrisation est un moyen et non une finalité, c’est que l'investisseur doit analyser le finement la structuration de l'opération de titrisation qu'il lui ai proposé, les mécanismes de couverture mis en place et disposer à tout moment d’une connaissance et une transparence complètes sur les actifs sous-jacents et leur performance. 

 

Boursenews:  Enfin, parlez-nous de Maghreb Titrisation et de ses ambitions sur ce marché ? 

Houda Chafil: Je tiens à rappeler que nous sommes le premier acteur sur le marché marocain et nous avons été seuls opérateur pendant 14 ans. C'est l'amendement de la loi en 2013 qui a ouvert la voie à d’autres opérateurs pour se positionner sur ce marché et nous nous en réjouissons. 

Nous sommes pionniers sur le marché de la titrisation et restons précurseurs sur les nouvelles opérations proposées au marché. Nous avons à ce titre, et depuis l’amendement de la loi, réalisé la première titrisation d'actifs immobiliers, toutes les titrisations de créances commerciales, la première titrisation de créances à la consommation, le premier et l’unique Sukuk souverain. Récemment, nous avons arrangé la première opération de titrisation synthétique pour un grand groupe industriel marocain. Cette volonté d'être toujours précurseur est dans notre ADN à l’image du groupe CDG auquel nous appartenons.


A.H 

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