EMISSION DU 03/16 - par bourse news

Entretien. «Le problème inhérent aux décisions de BAM est qu’elles sont imprévisibles»


Boursenews :  Après deux hausse successives du taux directeur en septembre et décembre 2022, quelle serait selon vous la décision de BAM mardi prochain et pourquoi ? 
Hassan Alaoui Hachimi : Compte tenu des délais de transmission de la politique monétaire à la sphère réelle et, in fine, aux prix, la décision du Conseil de Bank Al-Maghrib s’appuie sur des projections macroéconomiques à moyen terme. La valeur du taux directeur dépend donc des hypothèses adjacentes au scénario central qui devrait prévaloir durant les huit prochains trimestres. Cette valeur hypothétiquement optimale du taux directeur est sujette au jugement des experts membres du Conseil de BAM qui en décident de manière collégiale. 
Toutefois, le maintien du scénario central des projections récentes de BAM, l’ampleur des mises à jour des prévisions d’inflation et le profil de ses valeurs anticipées, ainsi que le creux auquel se situe actuellement le taux d’intérêt réel neutre, sont autant d’éléments qui offrent une grille de lecture de la trajectoire future du taux directeur.

En effet, au titre du quatrième trimestre 2022, l’inflation prévue pour l’année 2023 s’est établie à 3,9%, alors que Bank Al-Maghrib n’avait prévu que 2,4% un trimestre auparavant. De même, l’inflation prévue à l’horizon de huit trimestres est passée de 3,2% à 4,5% en l’espace des deux derniers trimestres de l’année 2022. Il s’agit donc d’une série de révisions à la hausse des projections de BAM, et qui riment avec tensions inflationnistes endogènes et de plus en plus persistantes. À cet égard, une hausse du taux directeur sera une réponse systématique.

À cela, s’ajoute un trouble du comportement de formation des anticipations d’inflation et qui laisse entendre un phénomène de «désancrage». Quoique l’usage de ce terme jargonnant est sujet à caution, puisqu’il présuppose un préalable d’ancrage que nous n’avons jamais eu. À mon sens, un repère à long terme des anticipations ne peut être dissocié d’une cible d’inflation officiellement annoncée par BAM comme étant un objectif à moyen terme. Cette cible, en plus d’être un engagement de la Banque centrale dans la conduite de la politique monétaire, servirait de point d’ancrage aux anticipations d’inflation. Aujourd’hui, si le taux d’inflation anticipé à l’horizon de huit trimestres frôle les 4,8%, la réplique de BAM ne saurait être qu’une action sur le taux directeur, plutôt qu’un acte de communication en réponse à une simple question : vers quoi nous ramons ?

En outre, ce désancrage des anticipations d’inflation n’a pas manqué de terrasser le taux d’intérêt réel pour le ramener en territoire négatif. Il va sans dire que le taux d’intérêt réel ex ante n’est autre que le taux d’intérêt nominal sans risque, en l’occurrence le taux directeur de la Banque centrale, ajusté au taux anticipé de l’inflation future. En soustrayant les 4,8% anticipés du taux directeur nominal, porté à 2,5% à l’issue du dernier Conseil de la Banque centrale, la valeur du taux directeur réel se réduirait à -2,3%. Quoique cela prête à confusion, et malgré les hausses successives du taux directeur nominal, la politique monétaire actuellement menée par BAM est théoriquement accommodante, tant que le taux directeur réel est en- decà du taux réel neutre qui, quant à lui, oscille autour de 1,5% selon les calculs du FMI. 

Tout compte fait, une hausse du taux directeur est à prévoir mardi prochain, à l’issue du premier Conseil trimestriel de BAM au titre de l’année 2023. Bien évidemment, c’est une probabilité, une seule parmi d’autres, et c’est là où le bât blesse. Dans le contexte actuel, je me permets de dire que le problème inhérent aux décisions de BAM est qu’elles sont imprévisibles. Alors même que l’ancrage des anticipations est le mot maitre de la conjoncture, on ne peut même pas prévoir le cours futur de la politique monétaire. Si BAM s’abstient d’annoncer une cible d’inflation, il n’en demeure pas moins qu’un engagement sur la trajectoire future du taux directeur est à même d’améliorer l’efficacité du resserrement monétaire et en réduire le coût. Pour le dire simplement, BAM peut tirer avantage des agents économiques si l’évolution à moyen terme du taux d’intérêt est prise en compte dans la formation des anticipations. Cela pourrait pousser le taux d’intérêt réel vers le haut, réduisant de ce fait l’ampleur des hausses futures du taux directeur. BAM peut se permettre de parler de plus en plus, car cela lui permettra d’agir de moins en moins. En ces rudes épreuves, ce n’est pas grave, c’est même souhaitable.


Boursenews : Selon vous, la hausse du taux directeur aura-t-elle les effets escomptés sur l'inflation ?

Hassan Alaoui Hachimi : La causalité allant de l’inflation vers la hausse du taux directeur est factuelle. Quant à la causalité inverse, hypothétique soit-elle, sa significativité et son ampleur demeurent sujettes à l’état actuel des canaux de transmission de la politique monétaire. Encore que la dominance fiscale est l’un des traits majeurs du Policy making au Maroc. Et en ces temps difficiles, on ne peut reprocher au gouvernement d’interférer avec BAM, voire la devancer, dans la lutte contre l’inflation.

En effet, les dépenses de compensation, le maintien des tarifs réglementés, l’aide à l’importation des céréales, les subventions accordées aux transporteurs, la maitrise du coût de l’électricité et l’effort de contrôle des prix, sont autant de mesures opérationnelles adoptées par le gouvernement pour préserver le pouvoir d’achat des Marocains. 
D’un côté, ces mesures permettent de détendre la pression sur les prix, mettant le panier de la ménagère à l’abri d’une inflation à deux chiffres. D’un tout autre côté, ces mesures-parechoc alimentées par la dette publique, en dépit d’une sortie à l’international, ne cessent de presser les taux d’intérêt domestiques. 

Et c’est là où la levée du taux directeur est problématique. La hausse des taux du marché monétaire qui en est le résultat, entraîne une augmentation des taux souverains, avec un renchérissement conséquent du coût de la désinflation financée par la dette publique.

À cet effet, en évinçant la désinflation par le budget de l’État, BAM  a tout à prouver en matière de stabilité des prix. C’est la mission qui lui est dévolue par ses statuts et elle fait légitiment usage des instruments de mise en œuvre de la politique monétaire. Néanmoins, il y a lieu de soulever une remarque quant à la nature même de cette hausse générale et littéralement durable des prix.

Le fait est que l’amplitude de cette vague d’inflation qui se déferle sur le Maroc est extrêmement disparate d’une ville à l’autre, en plus d’être portée par une divergence régionale en termes d’absorption de chocs. À titre d’exemple, une ville comme Al-Hoceima a enduré une hausse générale des prix qui s’élève à 13,5% en janvier 2023, soit un taux nettement au-dessus de la moyenne nationale. Alors qu’à Settat, à titre de comparaison et sans faire abstraction des différences démographiques et géographiques, le taux d’inflation enregistré au même mois demeure relativement bas et se situe autour de 7,5%.

Dans ces conditions, le cadre analytique de la politique monétaire et l’implémentation qui en est faite par BAM sont à concilier avec les hétérogénéités régionales au Maroc, non seulement en termes de différentiel d’inflation, mais surtout en termes de potentiel de croissance et d’avantages comparatifs. Plutôt que de parier sur une politique monétaire unique à l’échelle nationale, dont l’efficacité dépend d’une convergence régionale en devenir, il est temps d’opter pour une régionalisation de la politique monétaire à même de stimuler cette convergence. Il ne s’agit nullement de refinancer les banques à des taux variables selon la région d’implantation. Les banques continueront d’être servies au même taux directeur, mais à un taux qui soit plus réactif aux fluctuations cycliques de l’activité économique et à l’instabilité du taux de chômage qui en découle. Ce ciblage flexible de l’inflation, avec un arbitrage entre l’objectif de stabilité des prix et l’objectif de lissage du cycle économique, est en mesure de réduire les inégalités régionales en termes de pouvoir d’achat. Il faut répondre de la même manière, équité oblige, sauf que pour répondre à un pouvoir d’achat disparate, il faut en donner à tout le monde.


Boursenews : Quelle appréciation faites-vous des mécanismes de transmission de la politique monétaire au Maroc ?

Hassan Alaoui Hachimi : Les trois principaux canaux de transmission de la politique monétaire sont le taux d’intérêt, le crédit et le taux de change. Sachant que ce dernier demeure neutralisé au Maroc, eu égard au régime de change actuellement en vigueur.

Théoriquement, une hausse du taux directeur est un renchérissement du coût de refinancement des banques commerciales auprès de la Banque centrale et un déplacement vers le haut du corridor de fluctuation du taux de marché interbancaire. Ce dernier étant une moyenne du taux de l’argent au jour le jour, supporté par les banques à l’issue de leurs règlements journaliers. De ce fait, la hausse du taux directeur induit un éventuel arbitrage chez les banques entre les dépôts rémunérés et le refinancement auprès de la Banque centrale. La condition de non-arbitrage implique donc une hausse du taux créditeur qui tend à décourager la consommation et à encourager l’épargne, éventuellement investie sous forme de dépôts à terme. Cet effet de substitution inter-temporelle, exercé par le taux créditeur sur le comportement des ménages, est doublé d’un effet d’arbitrage auprès des entreprises qui optent pour les placements financiers plutôt que l’investissement réel.

De surcroît, la hausse du taux directeur constitue une hausse du coût marginal supporté par les banques, que celles-ci devraient répercuter sur les taux débiteurs en vue de garder leurs marges intactes. Ce faisant, les montants des échéances des crédits bancaires, calculés sur la base des nouveaux taux débiteurs, s’en trouvent relativement élevés, avec une diminution conséquente de la demande des crédits. En principe, il en résulte une contraction de la part de la consommation et de l’investissement financée à crédit et une baisse de la demande agrégée. En supposant que l’activité économique est initialement alignée sur le potentiel de production, cela devrait décélérer le taux inflation suite à l’ajustement graduel de l’offre à la demande.

Néanmoins, tous ces mécanismes supposent un processus de formation des anticipations qui suit les orientations de la politique monétaire. En effet, l’imbrication du canal traditionnel du taux d’intérêt dans les anticipations, érigées en un canal de transmission à part entière, est indispensable pour profiler les taux dont dépend l’investissement, à savoir la partie long terme de la courbe des obligataires.

Ceci dit, les rigidités et les frictions propres au Maroc sont loin d’offrir un cadre macroéconomique propice à ces canaux et mécanismes de transmission. Le fait est que la rigidité des taux débiteurs, en particulier les taux des crédits à la consommation, peut compromettre la transmission des impulsions monétaires. Cette rigidité peut s’expliquer par des primes de risque pro-cycliques qui vont souvent à l’encontre de l’orientation contra-cyclique de la politique monétaire. À cela, s’ajoutent les habitudes de consommation et d’épargne des Marocains, qui empruntent pour importer et qui préfèrent épargner dans l’immobilier. 
De plus, le secteur agricole, qui se démarque par sa forte contribution à la croissance, est inélastique aux variations des taux d’intérêt, et constitue ainsi une variable exogène pour la Banque centrale. De même que le secteur informel qui explique, à bien des égards, le taux relativement élevé de la circulation fiduciaire par rapport au PIB. 

Enfin, ces imperfections ne sont pas propres au Maroc et sont constatées dans beaucoup de pays semblables en taille et en revenu au Maroc. Sauf que la propre du Maroc se trouve dans le choix d’une flexibilisation du taux de change plutôt que le flottement pur, un allégement de la sévérité du contrôle des capitaux plutôt que la mobilité parfaite, un taux directeur affranchi de la parité internationale plutôt que l’instrumentalisation d’une règle de taux, et enfin, un ciblage implicite plutôt qu’explicite de l’inflation. 
C’est dire que dans ce régime intérimaire, où la réforme est devenue la norme, il est difficile de jauger les canaux et les délais de transmission des impulsions monétaires. Les réformes sont à mener jusqu’au bout et il faut savoir en assumer les conséquences. Là aussi, c’est question d’anticiper, de libérer le potentiel de la politique monétaire et de se libérer de cet à peu près dont on nous fait croire qu’elle est faite.

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