Il n’était pas un énarque, encore moins un centralien, et pourtant il fut l’une des figures les plus emblématiques du capitalisme marocain. Il laisse le Groupe Ynna Holding (mais pas seulement) orphelin après plusieurs mois au cours desquels la maladie s’était sournoisement invitée à son chevet.
L’homme d’affaires Miloud Chaabi s’est éteint le 16 avril à l'âge de 86 ans en Allemagne, suite à une crise cardiaque. C’est un truisme de dire que le capitalisme marocain vient de perdre l’une de ses plus grandes figures. L’on a souvent l’habitude, dans des circonstances aussi douloureuses, de verser dans des éloges dithyrambiques, pour honorer la mémoire des disparus. Dans le cas du patriarche Chaabi, il semble difficile de ne pas céder à cette tentation et de faire l’économie des mots, tant son parcours est atypique et force le respect. Un parcours qui peut se résumer en quelques mots : il n’avait rien, mais il quitte ce monde en y laissant une fortune estimée en 2015 à 1,3 milliard de dollars par le magazine Forbes.
En fait, si, Chaabi avait quelque chose qui a fini par faire de lui le richissime entrepreneur qu’il est devenu : il avait le travail dans ses gênes. Doublé, quand même, d’un sens du business aigu qui lui a permis de mettre sur pied Ynna Holdging, un groupe de référence dans la sphère économique marocaine et africaine, et autour duquel gravitent plusieurs entreprises opérant dans l’industrie lourde, la grande distribution, le BTP, l’hôtellerie, la promotion immobilière, l’agroalimentaire et les énergies renouvelables. Sa réussite a ceci de particulier que Miloud Chaabi n’était pas un énarque, encore moins un centralien (sic). Loin de là. C’est un self made man, un autodidacte qui n’est pas né avec une cuillère d’argent dans la bouche. Berger pauvre et analphabète, il quitta son fief d’Essaouira pour se construire à Kenitra, après avoir mené une vie d’errance, faite de petits boulots.
C’est dans cette ville qu’il posera les premières pierres qui le mèneront au sommet de la hiérarchie sociale. Et de sa première entreprise de construction, créée alors qu’il avait à peine 18 ans, à Ynna Holding, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.
Une forte tête
Résumer Miloud Chaabi à sa seule réussite économique serait pourtant bien réducteur. Chaabi, c’était aussi un tempérament. Un homme au caractère bien trempé. Une forte tête, disaient certains. Un franc-tireur, pour d’autres.
En tout cas, on lui reconnaissait une chose : ménager la chèvre et le chou, ce n’était pas son truc. S’il ne s’embarrassait pas de formalisme, c’était peut-être à cause de son cheminement professionnel, d’autant qu’il se plaisait souvent à rappeler qu’il a bâti son empire «à force de travail et sans bénéficier d’une quelconque faveur de l’Etat marocain». Ce qui, forcément, lui créait des inimitiés, tant du côté des pouvoirs publics qu’au sein même du secteur qui a fait sa renommée, l’immobilier.
On se rappelle, à ce titre, de la «guerre des tranchées» qui l’a opposé, à une certaine époque, à l’autre promoteur immobilier marocain de renom, Anas Sefrioui, le patron du Groupe Addoha, qu’il accusait de bénéficier des largesses de l’Etat, dans le cadre des processus de cession des terrains étatiques, mettant en avant l’opacité qui entoure la passation des marchés publics. En cela, ses sorties médiatiques fracassantes, sous sa casquette de riche homme d’affaires, de président de la Fédération nationale des promoteurs immobiliers ou encore de parlementaire, faisaient régulièrement les choux gras de la presse.
On retiendra de Miloud Chaabi, également, qu’il était un philanthrope très discret. Sans triomphalisme, sa fondation, qui porte son nom, s’active depuis plus d’un demi-siècle pour soutenir différents projets dans les domaines de la santé, de l'éducation, des services, des arts, de la culture du sport et de l'environnement.
L’héritage
Aux derniers mois de sa vie, la maladie s’était sournoisement invitée à son chevet. D’ailleurs, en décembre 2014, Miloud Chaabi a dû présenter sa démission du Parlement pour des raisons de santé, estimant qu’il était difficile pour lui de continuer son travail législatif. Il présidait alors un groupe parlementaire composé de cinq représentants ayant remporté des sièges aux dernières élections législatives de 2011.
Aujourd’hui, il laisse donc à ses enfants un riche héritage. Un lourd héritage aussi. Car ses épigones auront la délicate tâche de poursuivre l’œuvre du patriarche Chaabi, qui a pu ériger un groupe multidimensionnel qui puise ses racines dans les valeurs traditionnelles marocaines profondes et dont les branches sont délicatement chatouillées par le souffle de la modernité. Pourront-ils relever le défi ? C’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Article publié initialement sur Finances News