Lundi 01 Decembre 2025

Capital-risque : le Maroc peut-il devenir le hub d’innovation de l’Afrique ?

Venture Capital

Alors que le Maroc grimpe dans les classements internationaux et attire un volume inédit de financements, l’écosystème VC devient un véritable catalyseur. Il révèle des talents, modernise les secteurs clés et prépare l’industrie marocaine aux technologies de demain. Dans cet entretien, Tarik Haddi, Administrateur et Directeur Général d'Azur Partners décrypte les ressorts de cette dynamique et les conditions pour faire du Maroc un hub régional de croissance et d’investissement en Afrique.

Boursenews : En quoi le VC peut-il être considéré comme un levier important pour faire du Maroc un hub d’investissement et de croissance en Afrique ?

 

Comme vous le savez, dans le monde d’aujourd’hui, l’investissement et la croissance sont fondamentalement portés par l’innovation qui permet d’ouvrir de nouveaux marchés, d’améliorer la compétitivité des entreprises, voire de transformer les modèles économiques.

 

Et valeur aujourd’hui, à travers le monde, nous n’avons pas trouvé mieux que le capital-risque, souvent qualifié de smart money, pour financer et accompagner l’innovation à travers des mécanismes systémiques : sourcing actif et grilles de sélection fines pour ne retenir que les projets les plus pertinents sur le plan technique et économique, due diligences préinvestissement poussés sur tous les aspects du projet entrepreneurial pour sécuriser l’investissement, structuration financière et de la bonne gouvernance sur mesure, monitoring et accompagnement au quotidien, réinvestissement (follow-on) si nécessaire d’itérer encore le modèle pour arriver à la combinaison optimale qui conviennent au marché et qui soit rentable, préparation des stades ultérieurs de financement ….

 

Et ce faisant, le VC joue un rôle d’accélération de la transformation économique d’une nation, puisqu’il :

  1. favorise l’émergence de talents, compétences et mindset entrepreneuriaux, créateurs d’entreprises et d’emplois qualifiés,
  2. modernise les secteurs traditionnels (santé, agriculture, mobilité et logistique, énergie, éducation…) et accélère la croissance des secteurs de la Tech et de l’innovation,
  3. fait entrer la nation dans l’économie de la connaissance et de l’innovation et permet un minimum de souveraineté technologique dans les domaines stratégiques de l’IA, des biotech, des greentech, de la fintech, …

 

Et en matière de VC, le Maroc fait exception dans un contexte mondiale d’incertitude économique, où le volume du capital-risque a pratiquement été divisé par 2, passant de 670 milliards $ en 2021 à 368 MM$ en 2024 (chiffres KPMG) et en Afrique de 5,2 à 2,2 MM$ sur la même période (chiffres AVCA), puisque en 2024 les startups marocaines ont levé environ 95 millions de dollars, un bond par rapport aux 33 millions de dollars levés en 2023 et aux 26 millions levés en 2022 (chiffres UM6P).

Ainsi le Maroc a pu intégrer le top 10 africain en se classant à la 6ème position, même s’il est encore loin derrière les « big 4 » Nigéria (520 M$), l'Afrique du Sud (459 M$), l'Égypte (297 M$) et le Kenya (221 M$), mais pas loin du 5ème le Ghana avec 102 M$ (source Partech).

 

Nous n’avons pas encore tous les chiffres 2025, mais avec les 7,5 millions USD levés en juillet 2025 par ORA, le Maroc a pu se classer au 4ᵉ rang dans la région MENA sur ce mois.

 

Et les résultats sont là, puisque nous pouvons recenser plus de 1.000 startups actives au Maroc, dans des secteurs stratégiques pour l’économie marocaine :

  1. les traveltech comme NUITÉE permettent d’améliorer l’offre de notre industrie touristique,
  2. les fintech ORA & CHARI permettent d’améliorer l’offre en matière de services financiers numériques et d'inclusion financière,
  3. Des startups comme Cloudfret et Weego modernisent jour après jour la logistique et la mobilité ,
  4. les agritech Yolla Frech, Iziry, Sowit ou Arwa améliorent l’adaptation de notre agriculture aux changements climatiques,
  5. Et demain le VC va accélérer le développement de nos filières industrielles à forte valeur ajoutée :
  • L’automobile, aéronautique, énergies renouvelables, chimie verte, hydrogène vert, technologies de l’information etc…de plus en plus orientés industrialisation avancée, grâce à l’écosystème startups opérant dans la filière industrie 4.0,
  • Les transitions énergétique, hydrique et agricole du Maroc par nos startups green tech, clean tech et agri tech, 
  • Et la transformation numérique & l’économie des données de la stratégie Maroc Digital 2030 par nos startups deep tech.


 

Quelles sont les moteurs de cette dynamique ?

 

À mon sens 3 moteurs principaux portent toute dynamique de passage à une économie de l’innovation:

 

  1. Des filières industrielles à forte valeur ajoutée, sur lesquels peuvent se greffer des initiatives d’entrepreneuriat innovant, et qui reposent sur des avantages comparatifs réels, et notamment une courbe d’expérience, un transfert de savoir-faire et des compétences accumulées (c’est ce qui nous a permis de gagner 9 places dans le GII en passant de la 66ème place en 2024 à la 57ème en 2025).

 

  1. Un système national d’innovation qui intègre en bonne intelligence toutes les parties prenantes, avec :
  • Des politiques publiques, non plus centralisées, mais systémiques, en soutien à des trajectoires collectives d’innovation ;
  • Des Keystones, ces entreprises pivots dans leurs filières, qui soient porteuses d’écosystème ouvert d’innovation collaborative sur l’ensemble de leur chaine de valeur
  • Et de manière transverse :
  • Une culture favorable à la créativité
  • Des cadres danalyse transdisciplinaires
  • Une masse critique de compétences, on ne peut rien sans le capital humain
  • L’accès aux savoirs, aux données et aux technologies de base, le capital savoir tout aussi déterminant que le capital humain
  • L’accès aux marchés ; Etc
  • Et donc une gouvernance unifiée du champ de l’innovation, avec :
  • des mécanismes de participation de toutes les parties prenantes,
  • Des instances de dialogue, de régulation des tensions et de gestion des asymétries / conflits d’intérêts
  • Et un cadre d’évaluation co-construit pour ajuster en continu les stratégies des parties prenantes, en fonction des apprentissages collectifs,

 

  1. Et concernant spécifiquement le VC, les politiques et les actions menées sur les moteurs droit et gauche de « l’avion », c’est à dire la demande (et donc le deal flow des startups à financer) et l’offre (les fonds VC) :

 

  • Côté demande : l’amélioration du deal flow en nombre et en qualité se poursuit grâce à :
  1. un tissu de structures d’accompagnement et de programmes universitaires :
  • de plus en plus spécialisées par stade de développement (idéation, incubation, accélération, pré-seed) …
  • de plus en plus expérimentées
  • et de mieux en mieux soutenus par les mesures d’accompagnement de TAMWILCOM auxquels se sont rajoutés ceux du Ministère de la Transition Numérique (Maroc Digital 2030) et qui sont de plus en plus ciblés en termes de rémunération/subvention d’exploitation selon les résultats/KPIs, d’assistance technique (formation et mentoring), d’assistance à la spécialisation sectorielle (IA, FinTech, EdTech…), et de labélisation visant à faciliter les financements des bailleurs nationaux et internationaux ;
  1. des mesures de soutien directement aux startups, tout au long du cycle de vie de l’entreprise : bourse de vie, bourse d’incubation, prêt d’honneur, prêt d’amorçage, facilitation de l’accès aux marchés et création en cours d’un cadre « Startup Policy » avec un label startup et des dispositifs d’intéressement dédiés.

 

  • Côté offre :
  1. Un cadre juridique OPCC et de supervision AMMC aux meilleurs standards pour sécuriser les Investisseurs ;
  2. Et l’appui ciblé de l’État à la constitution de VC nationaux :
  • Soit directement à travers :
  • Le dispositif Innov Invest de TamwilCom, qui s’est traduit par une prise de participation dans les fonds d’amorçage, de l’assistance technique et la garantie « Damane Capital Risque », permettant de générer plus d’1 milliard de dirhams d’investissement par les structures et les fonds innov Invest tels que Azur Innovation Fund,
  • Et aujourd’hui, pour des VC spécialisés par stade de développement, le Fonds Mohammed VI pour l’investissement qui agit en tant que Fonds de Fonds, avec un co-investissement de la CDG et un mécanisme de stop-loss porté par Tamwilcom, dans le cadre du dispositif catalytique du Ministère de la Transition Numérique ;
  • Soit à travers des entreprises publiques, avec l’initiative 212 Founders de CDG Invest, UM6P Venture et InnovX de l’UM6P/OCP, auxquelles viennent se rajouter des initiatives privées très importantes comme celle du Fonds Al Mada Venture.
  • Résultat, plus de 3 milliards de dirhams, au total, seront mobilisés par des acteurs marocains.

 

 

Quelles sont les limites à lever pour attirer plus d’investisseurs internationaux vers le VC marocain et comment ?

 

 

Pour attirer plus d’investisseurs internationaux il faut agir sur 4 axes concomitamment :

 

  1. Faciliter l’intégration transfrontalière de l’industrie du capital-risque marocain, en adressant les questions auxquelles sont sensibles les investisseurs institutionnels et privés étrangers :
  • Les frottements fiscaux : la neutralité de la TVA sur les frais de gestion des fonds d’investissement doit être rétablie d’urgence ;
  • La complexité du traitement des opérations en devise, mais je sais que notre règlementation des changes est à la veille d’un énorme chantier de simplification et de digitalisation de tous les process dans ce domaine ;
  • La normalisation et la standardisation des instruments financiers que les investisseurs internationaux ont l’habitude de voir utiliser comme les BSA-AIR, les SAFE, les stock-options… : la réforme de la loi sur la SA en cours va permettre l’introduction et la normalisation de ces produits composés, mais il faudra veiller à leur harmonisation règlementaire au niveau fiscal, social (stock-option), et en matière de change
  • Et le cadre fiscal de la startup que nous espérons optimum dans le cadre du « Startup Policy » et du label startup qui sera mis en place dans le cadre du Maroc digital, 2030.

 

Il faut savoir que la concurrence entre les places d’investissements dans le monde est rude et les investisseurs très mobiles, faisant leur arbitrage rapidement.

 

  1. Inciter à la spécialisation des VC marocains dans certains secteurs clés de nos politiques industrielles (fintech, greantech, agritech, mobilité et logistique, biotech) :
  • en utilisant les mécanismes existants (co-investissements publics à travers le FM6I et le dispositif catalytique du MTNRA passant par un co-investissement de la CDG et le mécanisme de garantie/stop loss de Tamwilcom dans des fonds sectoriels)
  • en mettant en place des politiques industrielles dans ces secteurs (primes dans le cadre de la charte des investissements, subventions R&D, commande public, formation universitaire & OFPPT, etc)
  • En incitant, notamment fiscalement, à la création de réseaux de business angel et de syndicats d’investisseurs privés qui ont réussi dans ces secteurs, particulièrement au sein de la diaspora, pour co-investir avec les fonds de capital-risque et apporter leur expertise

 

  1. Inciter à la diversification territoriale des investissements au Maroc :
  • Avec les mêmes mécanismes,
  • Des incitations fiscales pour l’investissement dans certaines régions prioritaires,
  • L’appui local des Régions à travers la mise à disposition gracieuse d’espace de travail pour les fonds de capital-risque, des relais régionaux et la prise en charge des prestations locales (cabinet d’avocat, experts comptables, fiscalistes, R&D…).

 

  1. Lever les freins à la liquidité des VC marocains qui les empêchent de recycler rapidement leurs capitaux et d’attirer les Institutionnels et les family offices, encore sceptiques sur la liquidité et la rentabilité de cette classe d’actif au Maroc, en stimulant :
  • Les fusions et acquisitions entre entreprises, avec des incitations fiscales à l'acquisition d’entreprises,
  • La dynamisation du marché alternatif réservé aux Investisseurs qualifiés par les opérateurs, pour en faire un Nasdaq marocain ou Africain,
  • et l'intégration transfrontalière qui permettra les acquisitions par des entreprises étrangères.

 

 

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