C'est une drôle de "cérémonie" qui se tenait hier après-midi au ministère des Finances. Il était question normalement d'entériner le cahier des charges liant l'Etat aux nouveaux actionnaires de la Bourse de Casablanca. D'habitude, ce genre de cérémonie est une formalité : un ou deux discours, des signatures et une séance photos sous les applaudissements de la salle. Il est rare que cela dépasse 30 minutes. Mais, contre toute attente, nous avons assisté à un réquisitoire de Mohamed Boussaid, l’argentier du Royaume, contre les actionnaires. Une mise en garde contre la guerre des clans.
Revenons un peu en arrière
Nous sommes en novembre 2015, date de la première cérémonie officialisant la démutualisation de la Bourse. A l'époque, nous avions eu écho d'un malentendu entre les nouveaux et les anciens actionnaires concernant la méthode de valorisation de la Bourse de Casablanca. D'aucuns souhaitaient la réaliser à travers l'actualisation des flux futurs, alors que d'autres par la valorisation des fonds propres. Jusqu'à la dernière minute, dans un coin de la salle des conférences au siège de la Bourse, les négociations se poursuivaient encore. La démutualisation a finalement été actée le jour même. On pensait que c'était le seul point de divergence, mais il semblerait que la discorde soit bien plus profonde. Le délai nécessaire pour la finalisation de la valorisation de la Bourse a été fixé au 15 décembre 2015, pour être suivi par une Assemblée générale extraordinaire, en vue de décider notamment des augmentations de capital réservées à la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) et à Casablanca Finance City (CFC), et de la mise en harmonie des statuts de la Bourse de Casablanca avec les stipulations du Pacte des actionnaires. Or, la valorisation a pris plus de temps que prévu et l'Autorité marocaine du marché des capitaux n'a rendu sa copie, sans doute à cause des divergences entre anciens et futurs actionnaires, que pendant le premier trimestre de 2016. On pensait que les querelles avaient disparu. Il n'en est rien.
"Je ne signerai pas"
Revenons-en à présent à cette deuxième cérémonie, tenue hier au ministère des Finances. En arrivant dans la salle, l'une des parties prenantes dans le dossier lança : "je ne signerai pas". Certains participants l'approchent et le raisonnent. Il se calme et prend place dans la salle. Arrive ensuite Boussaid. Son discours, il s'en éloignera à plusieurs reprises. Il veut des garanties, mais ne le demande pas avec la diplomatie habituelle qu'on lui connaît. "Ecoutez-moi bien. Si quelqu'un s'oppose à ce projet, qu'il le dise maintenant ou se taise à jamais. Je sais qu'il y a des divergences, ce qui a causé le retard que nous connaissons".
Il poursuit ensuite son discours sur l'importance des réformes, puis marque une pause, regarde la salle, et lance à nouveau : «Quand croyez-vous pouvoir finir toutes les formalités ? Quand pensez-vous me livrer une feuille de route complète pour la Bourse» ? Silence dans la salle, sous le regard stupéfié des quelques journalistes présents. Puis quelqu'un lui lance doucement : "septembre".
Boussaid, comme pour confirmer, répète : «Septembre» ? Quelqu'un d'autre dans la salle lui répond : «Oui, si tous les actionnaires se mettent au travail dès maintenant. Il rétorque alors : "Je ne veux rien savoir, je veux avoir un dossier prêt pour septembre».
Il se tourne vers Karim Hajji : «C'est faisable» ?
«Oui, si nous avons le soutien des actionnaires», lui répond Hajji.
La CDG, un stabilisateur
Outre les remerciements remarqués du ministre des Finances au patron de la CDG, Abdellatif Zaghnoun, dans ce contexte tendu, l'histoire et les quelques témoignages recueillis après la cérémonie montrent que la Caisse publique a joué un grand rôle de stabilisateur aussi bien financier qu'humain dans les négociations. Car la Caisse fait une entrée fracassante dans le capital de la Bourse et va détenir le quart de son capital. Une position provisoire en attendant la vente des deux tiers de cette participation à un investisseur étranger. Une véritable "grand-mère", disait Boussaid hier. Outre le volet financier, la CDG et ses équipes auraient joué l'intermédiaire dans les négociations entre certains actionnaires. On n'en saura pas plus.
Certains participants nous ont annoncé, en off, après la cérémonie, que les divergences que nous avons relevées sont plus profondes que les histoires de valorisation. Il s'agirait de la conception même de la feuille de route où les priorités ne seraient pas partagées entre les actionnaires. Même l'identité du repreneur étranger d'une partie des parts de la CDG ne fait pas l'unanimité. Logiquement, on sait que les équipes de la Bourse proposeraient naturellement London Stock Exchange (LSE), avec un argument de taille sur la table, puisque le partenariat entre LSE et les entreprises de marché marocaines (Bourse et Maroclear) a été signé sous l'égide royal.
Une chose est sûre, les divergences entre actionnaires sont réelles et patentes. Deux rencontres publiques ont eu lieu avec chacune son lot de clash. Le ton utilisé par le ministre en présence des journalistes est très révélateur de ces divergences. Maintenant qu'il leur a forcé la main, qu'en sera-t-il du quotidien de cette réforme ? Il faut espérer que le développement du marché ne soit pas l'otage de ces querelles. Les Conseils d'administration risquent d'être mouvementés, les décisions retardées, voire paralysées, surtout lorsque les discordes sont d'ordre idéologique.
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Le cahier des charges liant l'Etat aux actionnaires
En voici les principaux axes :
* La Bourse se dotera d’un nouveau schéma intégré d’organisation afin qu’elle soit érigée en un holding qui gère l’ensemble de l’infrastructure du marché, y compris les entreprises du marché à terme que la Bourse va créer (Société gestionnaire et chambre de compensation).
* L’assignation à l’institution de la Bourse d’un rôle étendu en matière de développement du marché boursier, à travers notamment la structuration d’instruments financiers sur le marché boursier et, de façon plus globale, l’enrichissement continu de l’offre de produits et services.
* Le renforcement des règles de bonne gouvernance de cette institution à travers la nouvelle structure de l’actionnariat. Aussi, il sera institué un comité de suivi auprès de la Bourse chargé de s’assurer de la mise en place des nouvelles infrastructures du marché.
* L’accompagnement du positionnement de Casablanca Finance City en tant que hub financier sur la scène régionale, à travers notamment la contribution à la mise en place d’un environnement compétitif pour la cotation des titres étrangers, la diversification des instruments financiers offerts aux investisseurs internationaux.