Avec plus de 10% de gain au compteur depuis janvier, la Bourse de Casablanca s’impose comme un marché où l’appétit pour le risque ne faiblit pas. En cause : une réallocation massive des investisseurs vers les actions, portée entre autres par la baisse des taux et des anticipations de bénéfices en progression. L’objectif des 18 000 points, jugé optimiste en novembre dernier, est désormais sur toutes les lèvres. Mais le chemin pour l’atteindre sera-t-il linéaire ? Analyse croisée des signaux techniques et fondamentaux de African Financial Investment.
Si le marché a connu une accélération aussi brutale, c’est avant tout en raison d’une rotation sectorielle et d’un arbitrage des investisseurs institutionnels. La baisse progressive des taux d’intérêt, couplée à un contexte inflationniste maîtrisé, a conduit les gestionnaires d’actifs à réduire leur exposition au marché obligataire au profit des actions. La démocratisation de la Bourse auprès des investisseurs particuliers y est également pour beaucoup.
«Le consensus du marché anticipe une politique monétaire plus accommodante de Bank Al-Maghrib, avec des perspectives de baisse des taux à moyen terme. Dans ce contexte, les flux de capitaux se redéploient naturellement vers la Bourse», explique Tarik Amiar, cofondateur d’Africa Financial Investment. Les investisseurs ont ainsi répondu à un double signal : une prime de risque action en expansion et une anticipation de bénéfices en hausse.
L’une des grandes interrogations du moment concerne la valorisation du marché. Après un tel rallye, le Masi commence-t-il à montrer des signes d’essoufflement ou reste-t-il attractif ? L’indicateur clé scruté par Africa Financial Investment est l’écart entre la croissance de la capitalisation boursière et celle du PIB nominal. En mars 2024, cet indicateur montrait que le marché marocain n’était pas encore surévalué. À la fin de l’année, il a atteint un niveau extrême avant de refluer vers des valeurs plus modérées. Autre indicateur clé : le Price Earnings Ratio (PE) prospectif à 12 mois. Malgré la progression du marché, il demeure dans sa moyenne historique, sans excès spéculatif.
«Le marché a monté, mais il n’est pas encore cher. Nous sommes toujours dans une zone où l’investissement reste rationnel tant que les bénéfices suivent», souligne Jérôme Boumengel, expert en analyse quantitative. Sur le front des bénéfices justement, les analystes tablent sur une croissance moyenne de 5% du chiffre d’affaires et de 10% des résultats nets en 2024. Mais plus encore que les chiffres absolus, c’est le momentum qui est surveillé : les bénéfices prospectifs, qui avaient décroché en 2023, sont revenus en territoire positif. «L’indicateur de croissance en glissement annuel des bénéfices prospectifs est redevenu haussier. C’est un signal fort qui alimente la tendance actuelle».
En novembre dernier, Africa Financial Investment avait projeté un objectif de 18.000 points sur le Masi. Une cible qui avait, à l’époque, surpris les investisseurs. Pourtant, à l’heure où l’indice flirte avec les 16 500 points, cette projection semble désormais tangible. «La cassure de la résistance oblique survenue en début d’année a été violente et soutenue par des volumes significatifs. C’est le signe d’une tendance haussière bien ancrée», explique-t-on. Mais la route vers 18 000 points ne sera tout de même pas linéaire.
Sur le plan technique, un pullback à court terme n’est pas à exclure. L’indicateur de participation, qui mesure le nombre de valeurs en hausse, est passé de 90% fin 2024 à 70% aujourd’hui. Si ce chiffre reste confortable, une poursuite de la baisse sous les 50% signalerait une correction plus marquée. «La solidité d’une tendance se mesure à la participation du marché. Si l’indice monte mais qu’un nombre croissant de valeurs baisse, c’est un signal de fragilité. Pour l’instant, nous n’en sommes pas là», explique J. Boumengel.
Si le Masi tient sa dynamique, c’est aussi en raison d’un facteur clé : la baisse des rendements obligataires. Le taux à 10 ans est entré dans une tendance baissière marquée depuis 2024, avec un croisement à la baisse de ses moyennes mobiles. Une évolution qui renforce l’attractivité des actions face aux obligations. «Lorsque les taux sont orientés à la baisse, le marché actions bénéficie d’un soutien mécanique. Ce n’est pas une règle absolue, mais c’est un catalyseur puissant», précise Jérôme Boumengel. Ainsi, tant que la baisse des taux se poursuit et que les perspectives de bénéfices restent positives, le marché conserve des marges de progression.
Le marché évolue actuellement dans un canal ascendant, mais la configuration technique suggère un possible repli temporaire avant une nouvelle jambe haussière. «Les indicateurs de momentum à court terme sont tendus. Un retour vers 15 800 - 16 000 points ne serait pas une surprise avant un redémarrage vers 18 000», analyse-t-on.
En somme, la tendance haussière reste intacte, mais avec une probable phase de consolidation. Le scénario des 18 000 points d’ici fin 2025 reste plus que jamais d’actualité.
Reste à savoir si les flux acheteurs continueront à affluer avec la même intensité. Car si l’histoire des marchés nous enseigne que les tendances ne sont jamais linéaires, mais les cycles restent les mêmes : euphorie, consolidation, et reprise.