À l’occasion de la troisième édition du forum « Future of Finance » organisé dans le cadre de GITEX Africa 2025, le Directeur Général de Bank Al-Maghrib, Abderrahim Bouazza, a livré une allocution dense et sans détour sur les enjeux qui traversent aujourd’hui l’industrie financière numérique en Afrique.
Face à un auditoire composé d’acteurs majeurs de l’écosystème fintech, le banquier central a défendu une vision ambitieuse, mais lucide, du rôle que peuvent jouer les technologies financières dans l’inclusion économique du continent.
L’Afrique compte aujourd’hui plus de fintechs que de banques traditionnelles. Un renversement de paradigme qui témoigne d’un écosystème en ébullition, porté par une population jeune et connectée. Pourtant, comme le souligne Bouazza, cette dynamique est fragilisée par un durcissement global des conditions de financement, à l’image du ralentissement des IDE et des incertitudes géopolitiques qui grèvent les marges de manœuvre des économies africaines. Une « triple transition » – numérique, climatique, macroéconomique – s’impose désormais à tous.
Un marché fragmenté à harmoniser d’urgence
Le DG de la banque centrale a insisté sur l’urgence d’une intégration économique accrue, condition sine qua non au développement d’instruments de financement adaptés aux startups africaines. À ce titre, il appelle à lever les barrières réglementaires qui freinent l’expansion des fintechs. Aujourd’hui, celles-ci doivent obtenir une licence par pays pour opérer, un frein évident à l’innovation. À l’inverse, des initiatives comme la licence unique adoptée par le Ghana et le Rwanda ou les « sandboxes » réglementaires offrent des voies d’expérimentation prometteuses.
Autre point noir relevé par Bouazza : les infrastructures de base. « Comment parler de finance digitale quand 800 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité ? », interroge-t-il. L’identification numérique, la connectivité ou encore l’interopérabilité des systèmes de paiement restent des maillons faibles de la chaîne. Le PAPSS (Pan-African Payment and Settlement System), en cours de déploiement, apparaît ainsi comme un levier stratégique pour faciliter les paiements transfrontaliers à moindre coût, dans un continent où l’informel domine encore largement les flux financiers.
Un secteur concurrentiel en mutation accélérée
Face à l’émergence de néo-banques, de géants technologiques et de fintechs étrangères, les acteurs locaux doivent revoir leur copie. La croissance ne suffira plus : les modèles économiques doivent évoluer, les produits se diversifier, les capacités de gestion du risque se renforcer. Cela passe notamment, selon Bouazza, par des partenariats stratégiques et une montée en compétences, dans un contexte marqué par une pénurie mondiale de talents numériques et une exposition accrue aux cyber-risques.
Le rôle central des banques centrales et des États
Pour le DG de Bank Al-Maghrib, il ne fait aucun doute que la mutation numérique des services financiers ne pourra aboutir sans un effort concerté des États, des régulateurs, des universités et du secteur privé. Il cite en exemple le Maroc, qui a récemment lancé la stratégie « Maroc Digital 2030 », inauguré un « Morocco Fintech Center », et mis en place un fonds fintech doté de 10 millions de dollars.
La finance de demain, prévient Bouazza, ne sera pas une fuite en avant technologique, mais une course à l’impact. Et sur ce terrain, l’Afrique a toutes les cartes en main. À condition, toutefois, de jouer collectif.