Les banques privées suisses plaident pour un renforcement de la protection de leurs clients dans le cadre de la mise en oeuvre de l'échange automatique d'informations qui a mis fin de facto au secret bancaire.
La Suisse s'apprête à démanteler le secret bancaire en envoyant des données sur les comptes de non-résidents à un premier groupe de pays l'année prochaine.
L'industrie suisse de la gestion privée souhaite la mise en place de nouvelles protections pour éviter que les données transmises n'exposent ses clients étrangers à des activités criminelles comme le chantage ou les enlèvements.
"Les données pourraient être vendues ou utilisées pour exercer des pressions sur des clients ou leur famille", a dit Yves Mirabaud, président de l'Association de banques privées suisses (ABPS) et associé senior de Mirabaud, une banque privée genevoise.
"Je fais référence aux pays dans lesquels nous ne sommes pas tout à fait sûrs que le processus démocratique est comparable au nôtre ou dans lesquels la corruption est très importante."
Les grandes fortunes internationales ont retiré des milliards de dollars des banques suisses avec l'intensification de la lutte contre l'évasion fiscale qui a suivi la crise financière de 2008 et débouché sur le programme d'échange automatique d'informations bancaires élaboré sous la houlette de l'Organisation de coopération et développement économiques (OCDE).
La participation de la Suisse à ces échanges automatiques d'informations avait été présentée à l'époque comme une avancée majeure dans la lutte contre l'évasion fiscale.
Les banques suisses sont "pleinement déterminées" à mettre en oeuvre l'échange automatique de renseignements (EAR), a dit une porte-parole de l'ABPS.
RÉCIPROCITÉ ET CONFIDENTIALITÉ
Mais elles plaident pour l'introduction d'une clause de "déclenchement" prévoyant que les informations ne seraient transmises que si deux critères sont respectés: la réciprocité et la confidentialité.
L’ABPS souhaite que le gouvernement suisse, avant d’envoyer pour la première fois des données à un pays, vérifie à nouveau que la Suisse ne fasse pas cavalier seul et que ses principaux concurrents envoient aussi des renseignements fiscaux au même pays.
L'ABPS est aussi préoccupée par la question de la confidentialité des données. "Ces inquiétudes ne sont pas d’ordre fiscal. Elles concernent l’intégrité physique des clients concernés, en raison des risques de corruption et des jeux politiques dans leur pays", explique l'association.
"La confidentialité des données mérite donc aussi d’être vérifiée une dernière fois avant l’envoi de données à l’étranger", estime-t-elle.
La Suisse doit mettre en oeuvre l'EAR avec 38 premiers partenaires, dont l'Union européenne, l'année prochaine puis avec 41 pays supplémentaires en 2019.
La clause de déclenchement envisagée s'appliquerait aux 41 pays, dont la Russie, le Mexique ou le Brésil, pour lesquels l'EAR doit entrer en vigueur en 2019.
"Nous voulons être certains que lorsque nous fournissons des informations, elles ne sont pas mal utilisées ni ne mettent la sécurité d'un client en danger", a dit Boris Collardi, directeur général de Julius Baer, troisième banque privée suisse en termes d'actifs gérés, derrière les deux géants du secteur UBS et Credit Suisse.
L'OCDE VIGILANTE
Le gouvernement fédéral doit soumettre au parlement un texte sur les modalités d'échange automatique d'informations avec ces 41 pays d'ici le 5 juillet.
Yves Mirabaud s'est dit confiant dans le soutien du gouvernement à la clause de "déclenchement" en dépit des protestations des partisans de la transparence financière qui considèrent qu'elle n'est qu'un moyen de rétablir le secret bancaire.
Une porte-parole du Secrétariat d'Etat aux questions financières internationales, qui dépend du Département fédéral des Finances, a laissé entendre que le gouvernement pourrait envisager d'interrompre les transferts automatiques d'information dans certaines conditions.
"Si nous avons des inquiétudes sur la manière dont les données seront utilisées dans une juridiction donnée, la Suisse pourrait envisager de prendre n'importe quelle mesure prévue par la convention multilatérale régissant l'EAR", a-t-elle dit en faisant référence aux dispositions permettant de suspendre les échanges de données avec un pays.
L'OCDE, qui assure la supervision de la mise en oeuvre de l'EAR, est confiante dans le fait que la Suisse respectera ses engagements tout en se disant prête à agir si Berne traînait les pieds.
"Cela ne pourra pas être utilisé comme une excuse", a dit Pascal Saint-Amans, directeur du centre de politique et d'administration fiscales de l'OCDE, en référence au risque de mauvaise utilisation des informations transmises invoqué par l'ABPS. "Si c'est le cas, le pays sera sanctionné."