FRANCFORT (Reuters) - Deutsche Bank et Commerzbank ont confirmé dimanche avoir engagé des discussions en vue d’une fusion, opération à laquelle le syndicat Verdi a réaffirmé son opposition en raison de craintes pour l’emploi.
Les deux principales banques allemandes ont officialisé ces discussions après avoir chacune réuni leur directoire. Elles ont dans le même temps pris soin de préciser que l’issue de ces négociations était tout sauf certaine.
POURQUOI LE GOUVERNEMENT ALLEMAND S’INQUIÈTE-T-IL POUR DEUTSCHE BANK ?
Deutsche Bank est sortie indemne de la crise financière de 2008 mais a ensuite perdu pied. En 2016, le Fonds monétaire international l’a qualifiée de plus grand risque financier potentiel en raison de ses liens avec les autres groupes bancaires.
Les autorités allemandes craignent qu’une récession ou une grosse amende, par exemple, ne compromette le fragile rétablissement de la banque. Berlin veut un champion bancaire national fiable pour soutenir son économie axée sur les exportations.
Deutsche et d’autres banques européennes ont mis plus de temps que d’autres à se remettre de la crise financière, perdant du terrain face à des rivaux plus puissants basés aux Etats-Unis.
Selon des sources parlementaires mercredi, le ministre des Finances Olaf Scholz a minimisé le rôle du gouvernement dans ce dossier lors d’une réunion à huis clos de la commission du budget du Bundestag. Il a aussi dit qu’il ne pouvait pas confirmer que des négociations étaient en cours ou avaient eu lieu entre Deutsche et Commerzbank.
A part Deutsche Bank, Commerzbank est la seule grande banque d’Allemagne après une série de fusions dans le secteur. L’Etat allemand détient une participation de 15% dans Commerzbank après l’avoir sauvée pendant la crise, ce qui lui donne voix au chapitre.
A l’instar de Deutsche, Commerzbank a eu du mal à rebondir et les autorités allemandes la disent vulnérable à une prise de contrôle étrangère. Si un concurrent étranger s’en emparait, la concurrence de Deutsche s’en trouverait augmentée sur son marché domestique.
Berlin veut également que la spécialité de Commerzbank - le financement des moyennes entreprises, pilier de l’économie allemande - reste entre des mains allemandes.
A QUOI RESSEMBLERAIT UN ENSEMBLE COMBINANT DEUTSCHE BANK ET COMMERZBANK ?
Un groupe bancaire issu d’une fusion entre Deutsche et Commerzbank serait fort d’environ 1.800 milliards d’euros d’actifs et afficherait une valorisation boursière d’environ 25 milliards d’euros, un total qui le placerait aux alentours du 15ème rang européen, aux côtés de l’italien Unicredit CRDI.MI et du belge KBC. Il aurait un cinquième du marché allemand de la banque de détail.
Au total, Deutsche et Commerzbank disposent de 2.500 agences en Allemagne et emploient 140.000 personnes dans le monde. Une fusion mettrait en danger au moins 10.000 emplois, selon les syndicats.
Les partisans d’une fusion comprennent le gouvernement allemand et le fonds américain Cerberus, actionnaire des deux banques (une part de 3% dans Deutsche Bank et de 5% dans Commerzbank, selon des données Eikon).
Les opposants comprennent d’autres actionnaires de Deutsche Bank et les syndicats.
Le président du directoire de Deutsche Christian Sewing préférerait disposer de plus de temps pour stabiliser la banque avant de procéder à une fusion, selon des personnes au fait du dossier.
Le 17 mars, les deux banques allemandes ont officialisé avoir engagé des discussions en vue d’une fusion après avoir réuni leur directoire.
En février, le conseil d’administration de Deutsche a donné son feu vert à Christian Sewing pour des discussions exploratoires avec Commerzbank, selon une personne au fait du dossier. Il y a eu des contacts au sein d’un petit groupe de dirigeants. Les discussions pourraient se terminer sans accord, a ajouté cette source.
Maintenant que les discussions sont ouvertes - et que Berlin cherche toujours à obtenir un accord -, les deux banques sont sous pression pour élaborer un mécanisme de fusion et décider de la viabilité ou non d’un rapprochement. Une décision à ce sujet pourrait émerger dans les semaines qui viennent.
L’un des plus gros risques, selon des propos d’un responsable allemand à Reuters, serait un trou financier de plusieurs milliards d’euros qu’il faudrait combler si une fusion déclenchait un ajustement de la valorisation de certains investissements.
Commerzbank, par exemple, dispose d’environ 30,8 milliards d’euros de titres de créance, tels que des obligations italiennes qui représentent désormais 27,7 milliards d’euros - soit une décote de 3,1 milliards d’euros. Deutsche a des titres similaires inscrits à leur valeur de marché dans ses comptes.
Un accord de fusion ferait par ailleurs de l’Etat allemand un actionnaire de la plus grande banque du pays et des dirigeants préféreraient limiter son influence.
Les deux banques pourraient également s’enliser dans une restructuration, telle que l’intégration de systèmes technologiques différents, ce qui leur ferait perdre du terrain face à leurs concurrents.
Y A-T-IL D’AUTRES OPTIONS POUR DEUTSCHE BANK ?
Des responsables allemands ont eu des discussions exploratoires sur une fusion entre Deutsche et UBS mais l’idée n’a suscité que peu d’intérêt en Suisse, selon des personnes au fait du dossier.
Ces responsables estiment que s’en tenir au processus actuel de Deutsche de réduction des coûts et des activités bancaires les plus risquées ne permet guère d’espérer un redressement de l’établissement. D’autant que la pression exercée par Berlin en faveur d’une fusion complique la tâche de Deutsche.
Deutsche pourrait toujours réagir aux pressions de certains investisseurs en réduisant encore ses activités de banque d’investissement, en particulier aux Etats-Unis.
Deutsche a longtemps été impopulaire auprès de nombreux Allemands qui voyaient en elle un symbole des excès du capitalisme. Son image a été ternie par plusieurs dossiers judiciaires. Selon son dernier rapport financier, Deutsche a provisionné 1,2 milliard d’euros pour régler des litiges, notamment pour des soupçons de blanchiment d’argent, soit plus de trois fois son bénéfice de 2018.
La banque a traité l’essentiel des actions en justice depuis la crise financière et a amélioré ses finances.
En annonçant son bénéfice réalisé en 2018, le premier depuis 2014, Christian Sewing a déclaré que le groupe bancaire était “sur la bonne voie”.