Le retour de la croissance milite pour une normalisation des politiques monétaires, mais pas l'inflation
* Les marchés très nerveux face aux resserrements monétaires en cours ou attendus
* Les banques centrales très prudentes pour éviter les chocs
* Les rachats d'actifs resteront dans leur arsenal
par Patrick Vignal
PARIS, 13 juillet (Reuters) - Les marchés financiers voient planer la menace d'un resserrement monétaire mais il est douteux que les banques centrales puissent les priver totalement d'un afflux de liquidités qui les maintient sous perfusion depuis des années, font valoir plusieurs gérants et analystes.
Si le retour de la croissance mondiale milite pour une forme de normalisation, d'autres éléments s'y opposent, notamment une inflation toujours paresseuse. Et le risque d'un choc venant déstabiliser des marchés très nerveux oblige les instituts d'émission à marcher sur des oeufs.
"La question qui se pose aux banques centrales, c'est comment normaliser leurs politiques monétaires sans provoquer un krach très significatif sur le marché obligataire, le marché du crédit et le marché actions, ce qui pourrait précipiter le monde dans une récession violente puisqu'on sait qu'une grande partie de l'économie est financée via les marchés et qu'il y aura nécessairement des effets sur l'économie réelle", déclare Florent Delorme, analyste macro chez M&G, pour résumer l'enjeu d'un débat qui risque d'animer les marchés pendant tout l'été et au-delà.
"Je vois mal un banquier central vouloir entrer dans l'histoire comme étant celui qui a précipité le monde vers une nouvelle crise financière", ajoute-t-il.
Si un resserrement trop brutal est donc à exclure, les raisons n'en abondent pas moins pour détricoter les politiques d'"assouplissement quantitatif" (quantitative easing, QE), inaugurées par le Japon en 2001 puis généralisées dans le sillage de la crise financière de 2007-2008 et de celle de la dette souveraine dans la zone euro (2010-2011).
Ces politiques, qui consistent pour les banques centrales à utiliser, parallèlement à leurs instruments traditionnels que sont principalement les taux d'intérêt, d'autres outils, dits non conventionnels, à commencer par des rachats massifs de dette publique sur les marchés, ont eu des résultats mitigés.
Si elles ont sauvé le monde de la finance du chaos, elles n'ont pas su depuis réveiller les prix à la consommation et ont eu pour effet d'augmenter massivement l'endettement des économies développées auxquelles elles ont servi de canot de sauvetage, résume Mark Burgess, directeur des investissements de Columbia Threadneedle.
DES MARCHÉS SOUS DÉPENDANCE
La croissance du crédit et le niveau global d'endettement sont aujourd'hui plus élevés qu'ils ne l'étaient avant la crise financière et des risques de bulles se sont formées sur les marchés actions et ailleurs du fait notamment de l'afflux de liquidités en provenance des grandes banques centrales, estimé à près de 200 milliards de dollars par mois au total, dont 60 milliards d'euros pour la seule Banque centrale européenne (BCE).
"Aujourd'hui, les banques centrales doivent prendre des mesures pour ramener leurs bilans aux niveaux d'avant la crise et disposer de moyens suffisants pour contrer la prochaine, qui finira forcément par survenir", écrit Mark Burgess dans une note.
La Réserve fédérale américaine (Fed) devrait ainsi commencer dès cette année à réduire son monstrueux bilan (plus de 4.000 milliards de dollars), a déclaré mercredi sa présidente, Janet Yellen.
Quant à la BCE, elle pourrait annoncer au second semestre une réduction du montant de ses achats mensuels avant de songer peut-être à relever l'an prochain son taux de dépôt, actuellement en territoire négatif, prévoit Adrien Pichoud, chef économiste de SYZ Asset Management à Genève.
Il faut cependant réduire les doses avec précaution, tant les marchés sont devenus dépendants à la stimulation des banques centrales, de même qu'ils ne peuvent se passer ni de leur "forward guidance", soit les indications sur la trajectoire future de la politique monétaire, ni de leurs perspectives d'inflation qui guident les marchés de taux et donc la valorisation des actifs au sens large.
L'inflation ne doit toutefois pas être l'alpha et l'oméga de la politique monétaire, a déclaré fin juin Hyun Shin, responsable de la recherche à la Banque des règlements internationaux (BRI), qui assiste les banques centrales dans leur mission de garantir la stabilité monétaire et financière.
Les instituts d'émission doivent poursuivre dans la voie du resserrement, même si elle s'annonce cahoteuse, en arrêtant de se focaliser sur l'indice des prix pour privilégier d'autres éléments comme l'augmentation de la croissance du crédit et les coûts potentiel de l'éclatement des "bulles" créées sur les marchés par leurs largesses, a poursuivi l'expert.
ATTENTION AU "TAPER TANTRUM"
Quand la BRI parle, il faut l'écouter. Elle avait en effet été l'une des rares institutions à mettre en garde, au milieu des années 2000, contre la bulle du crédit provoquée par la politique ultra-accommodante du président d'alors de la Fed, Alan Greenspan, et qui allait aboutir à la crise financière de 2007-2008.
Dans la foulée de l'avertissement de la BRI, la BCE, la Banque d'Angleterre et quelques autres ont adressé des signaux laissant entendre qu'elles pourraient se lancer vers un resserrement graduel, un chemin qu'empruntent déjà la Fed et la Banque du Canada, qui a relevé mercredi son principal taux directeur pour la première fois depuis près de sept ans.
La réaction des marchés complique toutefois la donne. Le président de la BCE, Mario Draghi, en a fait l'expérience il y a deux semaines lorsqu'il a fait grimper l'euro et les rendements obligataires en évoquant des ajustements graduels de la politique de l'institution de Francfort. Dès le lendemain, des "sources" au sein de la BCE montaient au front pour expliquer que les propos du patron avaient été surinterprétés.
Le phénomène a rappelé, mais avec moins d'ampleur, le fameux "taper tantrum" de 2013, quand le prédécesseur de Janet Yellen à la tête de la Fed, Ben Bernanke, avait signalé une possible réduction ("tapering") du programme de rachat d'actifs de la banque centrale, provoquant une crise ("tantrum") sur le marché obligataire sous la forme de retraits massifs qui avaient entraîné une flambée des rendements des emprunts d'Etat américains.
"Dans un marché qui commence à être à un peu moins liquide, toute ambiguïté peut faire la place à une correction", explique Nicolas Forest, responsable de la gestion obligataire chez Candriam. "Mais ce que l'on vient de voir, ce n'est qu'un peu de volatilité sur un marché où il ne se passait rien depuis des mois. C'est de l'écume sur les vagues mais ce n'est pas grand-chose."
L'incident n'en a pas moins dû renforcer le soin de Janet Yellen à peser chacun de ses mots lors de son intervention cette semaine devant le Congrès. Après avoir affirmé que l'économie américaine était suffisamment robuste pour que la Fed poursuive son resserrement et s'attaque à son bilan, elle a ajouté que les taux ne devraient pas augmenter "encore tant que cela", un message aussitôt salué par les marchés.
Mario Draghi aura sans nul doute retenu la leçon quand il prendra la parole jeudi prochain après la réunion de politique monétaire de la BCE.
Les 25 et 26 juillet, ce sera au tour du comité de politique monétaire de la Fed de se réunir. Des annonces pourraient également intervenir à Jackson Hole, dans le Wyoming, où se tiendra du 24 au 26 août le symposium de banquiers centraux qu'organise chaque année la Réserve fédérale.
UN ENVIRONNEMENT "À LA JAPONAISE"
Si le contexte actuel justifie une normalisation monétaire plus ou moins rapide, avec tous les risques qu'elle comporte, les perspectives à plus long terme sont cependant plus floues.
Un cycle économique particulièrement avancé, notamment aux Etats-Unis, des croissances structurellement plus basses et l'absence de pressions inflationnistes plaident pour le maintien de politiques accommodantes.
Les taux devraient donc rester bas, même s'ils remontent un peu. Quant à l'assouplissement quantitatif, conçu au départ comme un remède de cheval à administrer pendant une période limitée, il fait désormais partie de l'arsenal des banques centrales et devrait rester sur le dessus de la boîte à outils.
"Notre vue est que l'on ne va pas revenir à l'environnement que l'on a pu connaître au début des années 2000 ou dans les années 1990 et que la "normalisation" des politiques monétaires ne sera que d'ampleur limitée", explique Adrien Pichoud.
"Nous sommes dans un environnement à la japonaise dans lequel les banques centrales sont vouées à garder des politiques monétaires accommodantes dans les années qui viennent, en raison du niveau élevé d'endettement, de la faiblesse de la croissance et de l'absence de l'inflation." (édité par Blandine Hénault) Reuters.