PARIS (Reuters) - Les juges d’instruction chargés de l’enquête sur les activités du cimentier Lafarge en Syrie estiment que l’ancien directeur général franco-américain de LafargeHolcim, Eric Olsen, a pu être victime d’une “campagne de déstabilisation interne”.
La justice s’intéresse aux conditions dans lesquelles le groupe français, absorbé en 2015 par Holcim pour former le géant LafargeHolcim, a maintenu en 2013-2014 ses activités en Syrie dans une zone de conflit tenue notamment par l’Etat islamique.
Huit anciens dirigeants et cadres de Lafarge, dont son ex-PDG Bruno Lafont et Eric Olsen, ont été mis en examen dans cette affaire de financement présumé du terrorisme.
Mais les juges d’instruction ont finalement décidé début mars de lever la mise en examen d’Eric Olsen, qui a été directeur général adjoint chargé des ressources humaines et de la sécurité de Lafarge jusqu’en septembre 2013, et de lui accorder le statut de témoin assisté.
Dans leur ordonnance, consultée par Reuters, ils font valoir que les investigations, l’exploitation des pièces du dossier et les interrogatoires “n’ont pas en l’état confirmé (qu’il) avait pu commettre des actes positifs intentionnels”.
“La teneur des pièces déclassifiées par le ministère de l’Intérieur (tend) au contraire à confirmer les déclarations de l’intéressé selon lesquelles il avait fait l’objet d’une campagne de déstabilisation interne en tant que citoyen américain”, poursuivent-ils.
Ces mêmes pièces invitent “à une lecture prudente des conclusions de l’enquête interne” du cabinet Baker McKenzie diligentée par la nouvelle direction de Lafarge, ajoutent les juges d’instruction, qui s’étonnent que celle qui lui a succédé aux ressources humaines, Sonia Artinian, n’ait pas été entendue dans le cadre de cet audit.
“Ces circonstances ne permettent plus de considérer qu’il existe des indices graves et concordants à l’encontre d’Eric Olsen des chefs de financement d’entreprise terroriste”, concluent les juges d’instruction.
Contacté, un porte-parole de LafargeHolcim a refusé de commenter ces informations.
Eric Olsen a démissionné du poste de directeur général de LafargeHolcim en juillet 2017. Il estime y avoir été poussé par l’audit interne, selon lui “à charge”, sur l’affaire syrienne.
“J’ai décidé de démissionner à cause de fortes tensions entre moi et certains membres du board, car je n’avais plus confiance en eux”, a-t-il expliqué à un enquêteur lors de sa garde à vue en décembre 2017, selon un procès verbal.
“Je n’avais plus confiance à cause de leur façon de mener cette enquête à charge contre moi et pas basée sur la recherche de la vérité”, a-t-il ajouté. “Cela avait créé un environnement où c’était moi contre eux.”
Ce qu’il redira à la juge d’instruction qui l’interrogera plus tard. Selon un autre procès verbal, il lui a ainsi dit être “tombé de (sa) chaise” à la réception en février 2017 d’une “liste de charges” établie par Baker McEnzie à son encontre et avoir contacté un membre du conseil d’administration qui lui a confirmé que c’était un “traquenard”.
Dans un communiqué publié le 24 avril 2017, LafargeHolcim paraît dédouaner celui qui était encore directeur général du groupe : “Le Conseil d’administration a conclu qu’Eric Olsen n’était ni responsable ni pouvant être considéré comme informé des actes répréhensibles identifiés dans le cadre de cette enquête”, lit-on notamment dans ce texte.
Mais le cabinet Baker McEnzie déclare notamment dans une note de synthèse que “les courriels collectés au cours de l’enquête indiquent que M. Olsen (...) a participé à des décisions (...) concernant des collaborateurs de LCS en Syrie après que les Etats-Unis eurent interdit pratiquement toute opération par des citoyens américains en lien avec la Syrie.”
Il laisse également entendre qu’Eric Olsen était au courant de ce qui se passait à Jalabiya.