La vitesse et l'ampleur de l'appréciation de l'euro continuent de surprendre et la monnaie unique européenne a franchi mardi le seuil de 1,20 dollar en dépit d'un regain de tensions géopolitiques après le tir d'un missile nord-coréen vers le Japon qui n'est pas parvenu à faire monter le dollar.
L'euro s'est retourné à la hausse contre le dollar à la fin de l'année dernière et son mouvement d'appréciation s'est nettement accéléré avec l'affirmation de la reprise de l'économie de la zone euro, la dissipation du risque politique après le premier tour de l'élection présidentielle française le 23 avril et l'orientation plus restrictive de la politique monétaire de la Banque centrale européenne.
Dans un contexte d'affirmation de la reprise économique au sein de la zone euro, le mouvement d'appréciation de la devise européenne a connu cinq phases d'accélération, dont trois liées aux déclarations du président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, sur les perspectives d'un resserrement graduel de la politique monétaire.
L'euro a aussi profité de la déception des attentes suscitées par l'élection de Donald Trump aux Etats-Unis et de la faiblesse politique de ce dernier, empêtré dans les révélations sur ses liens présumés avec la Russie et ses déboires avec la majorité républicaine au Congrès.
Le mouvement a été d'autant plus spectaculaire que les investisseurs étaient positionnés depuis de nombreuses années dans la perspective d'un renforcement du dollar, rappellent les analystes de Deutsche Asset Management.
"Quand les fondamentaux de l'économie européenne se sont améliorés de façon inattendue tandis que les attentes aux Etats-Unis décevaient, le marché a été pris à revers. Un ajustement brutal s'est mis en place, conduisant le dollar à ses niveaux les plus faibles contre la devise européenne depuis début 2015", expliquent-ils, en relevant que le marché est aujourd'hui positionné pour un dollar plus faible pour la première fois depuis 2014.
Un euro à $1,35 ?
Le taux de change au comptant de l'euro-dollar est d'ailleurs très en retard par rapport au positionnement de marché.
Pour Patrick Artus, économiste en chef de Natixis, au vu des positions nettes ouvertes sur le dollar et sur l'euro et du taux de change entre les deux devises, "dans le cas extrême de grand optimisme sur la zone euro et de grand pessimisme sur le dollar, on peut avoir un taux de change de l'euro à 1,35 dollar", un niveau qu'il n'a plus retrouvé depuis la fin juillet 2014.
Les économistes de TS Lombard estiment toutefois que les arguments en faveur d'une appréciation du dollar ne manquent pas, en particulier vis-à-vis des devises des autres pays développés. Ils citent notamment les inquiétudes manifestées par le conseil des gouverneurs de la BCE lors de leur réunion du 20 juillet sur une éventuelle hausse excessive de l'euro.[IS:nL8N1L33LT]
L'absence de déclarations de représentants de la BCE et de son président en particulier, sur l'appréciation de l'euro est toutefois l'une des explications avancées pour expliquer sa nouvelle accélération à la hausse.
Les niveaux de valorisation en termes de taux de change effectif réel limitent les risques de forte dépréciation du dollar, estiment les analystes de TS Lombard. Ils notent aussi que l'excédent des comptes courants de la zone euro, tout en restant très important, a eu tendance à se réduire depuis un an.
Ils ajoutent que les surprises économiques ont été plutôt favorables aux Etats-Unis récemment mais que l'inverse est vrai pour la zone euro, ce que le taux de change ne reflète pas. Jaco Rouw et Thomas Ippoliti, responsables de la gestion du change de NN Investment Partners, l'euro-dollar est "trop cher" par rapport à l'écart de rendement réel à 10 ans entre les Etats-Unis et la zone euro, qui constitue une force de rappel pour le taux de change.
Fin de la partie le 7 septembre?
L'appréciation de l'euro pourrait d'ailleurs conduire la BCE à abaisser ses prévisions d'inflation le 7 septembre à l'occasion de la prochaine réunion de son conseil des gouverneurs, préviennent les économistes de TS Lombard, qui rappellent que les précédentes projections publiées en juin ont été établies sur la base d'un euro à 1,08-1,09 dollar.
Ils ajoutent que la perspective d'une révision à la hausse des prévisions de croissance et la tendance favorable de l'inflation sous-jacente ne devraient pas remettre en cause l'annonce d'un ralentissement des achats d'actifs par la BCE.
"La BCE fera en sorte d'éviter un renforcement du taux de change tel qu'il remettrait en cause les progrès réalisés dans l'assouplissement des conditions financières au sein de la zone euro", préviennent toutefois les équipes de TS Lombard.
Pour Ulrich Leuchtmann, analyste changes de la Commerzbank, le silence de Mario Draghi sur le niveau de l'euro à l'occasion du rendez-vous de fin d'été des banquiers centraux à Jackson Hole, aux Etats-Unis, vendredi dernier a favorisé la poussée haussière de ses derniers jours.
"La réaction du marché montre surtout qu'il (Draghi) détient la clé pour mettre fin à la tendance haussière de l'euro-dollar", estime-t-il.
"Draghi aura le temps et l'occasion de commenter les évolutions du taux de change le 7 septembre (...) et si je peux imaginer que la monnaie unique européenne continuera de s'apprécier d'ici là, le risque d'une position longue sur l'euro-dollar ce jour-là augmente considérablement."
Reuters.