C’est un exercice de communication assez nouveau (et parfois contraignant) pour les émetteurs marocains. Le reporting extra-financier peine à se démocratiser chez les entreprises faisant appel public à l’épargne. A ce jour, à peine 90 émetteurs s’y soumettent.
Le reporting extra-financier se définit comme la communication par une entreprise d’informations sociales, environnementales, sociétales et de gouvernance, contribuant ainsi à une meilleure transparence sur ses activités, ses caractéristiques et son organisation. Il constitue un fondement important de la politique de responsabilité sociétale de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes.
Pour faire le point sur ce sujet d’importance, l’Association marocaine des consolideurs financiers a organisé hier un webinaire sous le thème : «Reporting extra-financier : état des lieux au Maroc et convergence vers les standards internationaux».
Sous d’autres cieux, notamment en France, «la mise en œuvre du reporting extra-financier s’est faite via une prise de conscience progressive. En analysant des contraintes, mais aussi des opportunités, par l’implication croissante des directions financières et également par la pression de la finance verte», a indiqué François Lenoir, associé fondateur de Conso & Co.
Omar Amine, associé fondateur du cabinet de Conseil OFINANCE, a pour sa part livré un diagnostic détaillé et a proposé des pistes pour converger vers les standards internationaux.
Il a d’entrée de jeu rappelé que le cadre réglementaire marocain est moins étoffé et sophistiqué qu’en France. Les entreprises non cotées n’ont aucune obligation d’avoir un reporting financier. «Au Maroc, on a fait un choix d’efficacité et de rapidité d’aller vers les entreprises faisant appel public à l’épargne à travers la circulaire de l’AMMC. On y retrouve plus ou moins les standards internationaux notamment l’obligation de se baser sur un référentiel international». Car, pour diffuser les données les plus pertinentes en matière de RSE et répondre aux attentes des parties prenantes, les entreprises faisant appel public à l’épargne au Maroc utilisent les principaux référentiels internationaux qui permettent d’assurer une certaine standardisation.
«54% des émetteurs utilisent le référentiel ISO 26000 alors que 46% utilisent les Global Reporting Initiative GRI, et 2 banques le reporting intégré, qui permet de concilier les deux aspects financier et extra financier dans une logique de création de valeur», nous apprend le fondateur de O Finance.
«Concrètement, sur 90 émetteurs, la moitié assure une bonne qualité de communication et l’autre est en phase d’apprentissage», estime-t-il.
État de l’art du reporting extra-financier au Maroc
Premier constat relevé par Omar Amine est que la trajectoire de réforme européenne basée sur les initiatives privées et de longues périodes d'expérimentation/d'acclimatation/encadrement réglementaire des entreprises, a conduit à un foisonnement des normes et de réferentiels et une complexité du chantier actuel d'harmonisation européenne. Est-ce le bon benchmark à suivre au Maroc ? Pour O. Amine, «sur les 5-10 prochaines années au Maroc, ce n’est pas le bon benchmark à suivre. Pour la simple raison qu’aujourd’hui, nous n’avons ni le temps surtout avec des échéances comme 2023 (taxe carbone pour les entreprises marocaines) ni les moyens suffisants en ressources».
Il souligne aussi l’absence d'initiatives publiques concrètes pour le développement du reporting extra-financier hors marché des capitaux au Maroc (plateforme, observatoire, société civile, ministère...).
A date d’aujourd’hui, le reporting extra-financier limité à 90 sociétés faisant appel public à l'épargne sans obligation de vérification ou de certification (publications 2019-2020) alors qu’il n’y a pas d'obligation légale pour les entreprises non cotées, contrairement à la France où une déclaration extra-financière est obligatoirement intégrée dans le rapport de gestion selon des critères de taille.
L’expert constate aussi une utilisation marginale de l'information extra-financière dans les notes de recherche des analystes financiers ou les prospectus d'introduction en Bourse. «En examinant l’ensemble des notes de recherche des SDB ou des banques d’affaires, nous restons sur les dimensions financières classiques», explique-t-il.
Amine fait remarquer que la notation extra-financière reste limitée à de grands groupes privés et peu utilisée par les investisseurs et analystes financiers, au moment où les entreprises labélisées CGEM ne publient pas systématiquement de rapports extra-financiers.
Dernier constat : les entreprises publiques à vocation commerciale et impacts économique et social importants ne réalisent pas pour la majorité de rapports extra-financiers, «sachant que c’est une recommandation du code de bonne gouvernance des EEP».
10 mesures pour une convergence vers les standards internationaux
Pour pallier cette problématique et faire converger le reporting extra-financier vers les standards internationaux, Omar Amine propose 10 mesures claires et rapidement déployables :
1. Instaurer une obligation légale (code de commerce, loi sur la SA et SARL) de publier des informations extra-financières au niveau du rapport de gestion du CA ou rapport de gérance pour des entreprises dont le chiffre d'affaires est supérieur à 500 MDH ou un seuil de bilan effectif tout en incluant les entreprises publiques et concessionnaires de services publics et les entreprises ayant conclu une convention d'investissement avec l'Etat marocain (subventions, aides...).
2. Instaurer l'obligation de revue limitée «de conformité» par un tiers indépendant habilité des publications extra-financières (ex- commissaire aux comptes).
3. Parachever les textes de loi liés au développement durable et instaurer des mécanismes de sanctions efficaces.
4. Obligation pour les entreprises labélisées «RSE-CGEM» de publier un reporting extra-financier selon le modèle ESG-AMMC.
5. Initiative publique du ministère de tutelle pour lancer des plateformes collaboratives en vue de mobiliser les experts et les différents intervenants autour de l'expertise RSE et le reporting extra-financier.
6. Mettre en place une instance publique-privée de coordination et de suivi des différents chantiers et initiatives lancées (observatoire, plateforme, comité national...).
7. Mobilisation des experts-comptables, le CNC et les experts métiers pour la mise en place de normes nationales adaptées aux entreprises marocaines et à la stratégie de développement durable du pays. Ces normes devraient permettre de traiter, au sein des questions RSE, les risques et enjeux les plus significatifs et converger progressivement vers les standards européens harmonisés. L'entreprise gardera l'option de choisir un référentiel international admis en cas d'exigence des parties prenantes (notation, investisseurs, actionnaires...).
8. Initier un programme volontariste de mobilisation des entreprises à travers des actions de sensibilisation et de vulgarisation (guide à mettre en place, programme de formation, rôle important des banques, conseillers, commissaires aux comptes, société civile...).
9. Développer les solutions de financement durable et les mécanismes de garantie et imposer systématiquement des études d'impact en amont et des publications extra-financières post-financement (pour la durée du crédit).
10. Promouvoir le développement de l'investissement ISR (Socialement responsable) à travers des incitations fiscales pour orienter les financements ou levées de fonds vers des projets impactant avec obligation de reporting extra-financier.
Pour Anass Radi, président de l'Association marocaine des Consolideurs Financiers (AMCF), il faut "faire évoluer le cadre règlementaire et légale est une nécessité aujourd’hui. Redoubler l’effort de sensibilisation des acteurs, instaurer un climat de confiance et s’approprier les outils de reporting extra financier sont à mon avis les facteurs clés de succès de ce chantier si important. "