La suppression de cinq zéros à la monnaie vénézuélienne devrait éviter dans l'immédiat l'effondrement du système de paiement, mais cela ne reste qu'une rustine sur une économie à plat, jugent les experts interrogés par l'AFP.
- Des lunettes à 1 milliard -
Dans ce qui fut un des pays les plus riches de la région, les prix augmentent à vue d'oeil à cause d'une inflation qui pourrait atteindre 1.000.000% cette année, selon le Fonds monétaire international (FMI).
Des lunettes de vue coutent ainsi 1 milliard de bolivars (environ 300 dollars au taux du marché noir, la référence de facto) et un kilo d'ail 32 millions (10 dollars), alors que le salaire mensuel minimum est seulement de 1,5 dollar.
Il faudrait donc la bagatelle de 10.000 billets de la coupure la plus élevée actuellement (100.000 bolivars) pour acheter ces lunettes. Un cauchemar dans ce pays où les retraits d'argent sont très limités aux distributeurs. Le paiement électronique s'est généralisé.
A l'origine, le gouvernement ne devait retirer que trois zéros au bolivar, le fait d'en retirer cinq "revient à reconnaître l'hyperinflation", juge Henkel Garcia, directeur du cabinet Econometrica.
"Mais c'est une reconnaissance partielle, car cela devrait être accompagné d'une réforme économique pour freiner" la hausse vertigineuse des prix, ajoute-t-il.
Le gouvernement du président socialiste Nicolas Maduro soutient que la crise économique et l'hyperinflation sont la conséquence d'une "guerre économique" menée par la droite vénézuélienne et les Etats-Unis pour le renverser.
L'objectif est de "défendre et améliorer le pouvoir d'achat des travailleurs", a déclaré jeudi le ministre de l'Industrie Tareck El Aissami.
- Surchauffe informatique -
Transactions bancaires ou petits achats: la suppression des cinq zéros devrait faciliter les opérations du quotidien.
"Les systèmes informatiques sont en surchauffe, aucune plateforme ne supporte une telle quantité de transactions. Un effondrement (du système) est possible", a déclaré une source bancaire anonyme à l'AFP.
Nombre de supermarchés font par exemple payer les clients en plusieurs fois: la limite par transaction est fixée à 20 millions de bolivars.
La décision du gouvernement "vise à éviter un effondrement du système financier des entreprises: la moindre transaction s'élève à des centaines de millions ou des milliards", abonde l'économiste Leonardo Vera.
- Supprimer d'autres zéros -
Mais faute de mesures de fond, la durée de vie des futurs nouveaux billets ne devrait pas dépasser les six mois, prévient Henkel Garcia. "Ils seront bientôt obligés de supprimer d'autres zéros".
Début 2017 avec un billet de 100.000 bolivars, les Vénézuéliens pouvaient acheter cinq kilos de riz. A présent, ils peuvent à peine se payer une cigarette.
"Si l'inflation de 100% par mois continue, le billet de 500 (future coupure la plus forte attendue fin août) sera obsolète en décembre", estime Vera.
- 50.000 litres d'essence -
L'essence vénézuélienne, quasiment le seul bien de consommation qui n'augmente pas, est toujours la moins chère du monde.
Un seul billet vert échangé sur le marché noir permet d'acheter 3,3 millions de litres, au prix d'un bolivar l'unité.
Comble de l'absurde, la future pièce la plus petite, de 0,5 bolivar (soit 50.000 bolivars actuels), permettrait d'acheter 50.000 litres d'essence.
Un décalage qui devrait conduire le gouvernement à ajuster les prix.
"On va avoir une hausse implicite des biens et des services (subventionnés), comme l'essence", anticipe Asdrubal Oliveros, le président du cabinet Ecoanalitica.
- Le dollar bienvenu -
Outre la suppression des cinq zéros, dévoilée le jour de la nouvelle prévision du FMI, le président Maduro a également annoncé un assouplissement du contrôle des changes afin d'attirer les investissements étrangers.
Il a aussi dévoilé une exonération d'impôts et de taxes douanières sur les importations de matières premières et d'équipements industriels.
Mais ces mesures ne seront efficaces qu'en cas de "stabilité économique, ce qui pourrait attirer les investissements", selon l'économiste Luis Vicente Leon.
Le ministre El Aissami a cependant déclaré en substance que "ce programme pour la prospérité" visait à renforcer le socialisme et à maintenir les subventions.
AFP.