Dans un avis rendu public à la suite d’une saisine d’office, le Conseil de la concurrence dresse un diagnostic du marché de l’assurance. Bien que stratégique pour le financement de l’économie, en raison de son rôle central dans la mobilisation de l’épargne nationale, ce secteur reste marqué par une forte concentration, des barrières élevées à l’entrée, un déficit d’innovation, et une régulation à repenser pour mieux protéger le consommateur, selon l’institution.
En effet, le chiffre d’affaires global du secteur s’est établi à 57,5 milliards de dirhams en 2022, en hausse de 9,7% par rapport à 2021, traduisant une dynamique économique solide. Mais derrière ces performances se cache un marché structurellement verrouillé. À fin 2022, 26 compagnies d’assurance opèrent dans le pays, dont 4 sociétés mutuelles, mais six acteurs captent 79% des primes émises, trois sociétés dominent 70% de l’assurance vie, et cinq entreprises concentrent 75% du segment non-vie, notamment l’assurance automobile, qui représente à elle seule près de la moitié des primes du non-vie.
Face à cette situation, le Conseil de la concurrence structure son analyse autour de quatre axes, chacun assorti de recommandations concrètes destinées à corriger les déséquilibres actuels et à relancer la dynamique concurrentielle.
Le premier constat du Conseil porte sur les obstacles réglementaires à l’entrée. Le marché de l’assurance reste fermé, tant pour les entreprises que pour les intermédiaires. Deux niveaux de verrouillage sont identifiés : l’un à l’entrée pour les sociétés d’assurance, l’autre pour les distributeurs, notamment à travers l’examen professionnel exigé aux agents et courtiers.
Le Conseil recommande un assouplissement des conditions d’accès, en particulier via la révision des exigences légales pour les entreprises d’assurance et la suppression de certaines contraintes administratives pour les intermédiaires, afin d’encourager une plus grande diversité d’acteurs.
Si peu d’entrants rejoignent le marché, rares sont aussi les sorties volontaires, ce qui accentue la rigidité de la structure concurrentielle. Le Conseil constate que la stabilité apparente du nombre d’acteurs s’explique surtout par des opérations de fusion-absorption entre opérateurs existants.
Cette inertie accentue la concentration. En 2021, six compagnies concentraient 79% des primes, et la tendance reste marquée dans les segments vie et non-vie. Trois sociétés captent 70% du marché de l’assurance vie, et cinq opérateurs se partagent 75% du non-vie, dont l’assurance automobile, qui pèse à elle seule 49% du non-vie.
Le Conseil pointe un avantage concurrentiel structurel accordé aux compagnies mixtes (vie + non-vie), en raison d’un système d’agrément hybride hérité d’une réforme de 2006, qui imposait une spécialisation… sans effet rétroactif. Ce privilège freine l’entrée de nouveaux acteurs spécialisés et pénalise la dynamique concurrentielle.
Par ailleurs, l’offre reste centrée sur des produits classiques, avec peu de place laissée à l’innovation. Le Conseil recommande de corriger l’asymétrie réglementaire entre acteurs mixtes et spécialisés, accélérer la digitalisation du secteur, et assouplir les procédures d’homologation de nouveaux produits par l’ACAPS.
Il suggère également l’ouverture progressive de l’assurance non-vie aux réseaux bancaires, actuellement réservée à l’assurance vie. Une mesure qui pourrait dynamiser la distribution, comme l’a montré le poids croissant de la bancassurance (30% de part de marché dans l’assurance de personnes).
Le dernier axe concerne la gouvernance du secteur. Le Conseil s’interroge sur la participation active des associations professionnelles aux commissions consultatives de l’ACAPS, une situation qui peut entraîner des conflits d’intérêts et affaiblir l’indépendance du régulateur. Il appelle à un encadrement plus strict de leur rôle dans ces instances.
Enfin, l’avis souligne une relation déséquilibrée entre assureurs et assurés. Les contrats sont jugés complexes, peu lisibles et mal expliqués, laissant le consommateur — même averti — sans visibilité sur ses droits réels ou les exclusions. Le Conseil plaide pour une meilleure transparence sur les offres, une information claire et standardisée des assurés, et un renforcement de la protection contractuelle.
À travers cet avis structuré, le Conseil de la concurrence formule donc une “feuille de route” pour un marché plus ouvert, plus transparent, et plus favorable à l’innovation et à la concurrence, tout en rééquilibrant la relation entre assureurs et assurés.