Vendredi 03 Mars 2017

Décryptage : De nouvelles révélations sur le shadow banking au Maroc

Analyse du Marché Boursier Marocain

L'incroyable épopée du Shadow banking au Maroc

 

 *Le shadow banking désigne l'ensemble des activités et des acteurs contribuant au financement non bancaire de l'économie.

 

Enfin ! L'AMMC vient de publier, ce vendredi 3 mars, de nouvelles statistiques sur le prêt/emprunt de titres sur le marché marocain. L'autorité de tutelle avait cessé de rendre publics ces chiffres depuis près d'un an. Les encours dévoilés donnent froid dans le dos. Le volume des titres prêtés sur le marché financier marocain en 2016 équivaut presque au total des actifs sous gestion chez les OPCVM.

 

L'opacité bat son plein en ce qui concerne ces fameuses opérations de prêt/emprunt de titres. Ce mécanisme, lancé initialement pour rendre le marché financier plus liquide, a été détourné de sa fonction initiale. Il sert aujourd'hui à créer des liquidités à blanc et pose un problème d'intérêts croisés entre banques et OPCVM.

 

Un double intérêt

Ces fameuses opérations permettent concrètement aux banques d'emprunter des titres auprès des OPCVM et les servir en collatéral (garanties) sur le marché interbancaire pour se refinancer auprès de la Banque centrale. Une fois les fonds restitués, la banque récupère son collatéral et le remet à l'OPCVM prêteur tout en lui payant une rémunération, une sorte de loyer sur ses titres. En face, les OPCVM utilisent ce mécanisme pour piloter leurs ratios prudentiels. Obligés de produire des reportings, le prêt-emprunt leur permet donc de gérer leur ratios durant ces périodes.


 

325 milliards de dirhams en 2016 !

 

Durant l’année 2016, le volume des opérations de prêt de titres a atteint près de 325 milliards de dirhams en augmentation de près de 55% par rapport à l’année 2015. A l’exception du 1er trimestre 2016, les banques sont les premiers emprunteurs alors que les OPCVM sont les principaux prêteurs”, révèle l'AMMC. Pour avoir un ordre d'idée, l'actif net des OPCVM aujourd'hui est de 380 Mds de dirhams.

 

 

Les opérations de prêt de titres portent principalement sur les bons du trésor qui représentent à eux seuls près du deux tiers des titres prêtés en 2016. Les obligations et les certificats de dépôt ont également fait l'objet d'opérations de prêt avec des parts respectives de près 20% et 12%. Le prêt sur actions a atteint pour sa part près de 1,3% du volume total. La durée moyenne pour une opération de prêt de titres varie entre 2 et 24 semaines en fonction du type d'instrument financier.

 

Source : AMMC.  

 

 

Des excès dans l'utilisation du mécanisme  
Pour comprendre l'ampleur prise par ce marché, il faut observer son évolution. Entre le dernier trimestre de 2014, qui coïncide avec le démarrage réel de l'activité et le troisième trimestre de 2015, les volumes sont passés de 41 Mds de dirhams à 144 Mds de dirhams, soit une progression de 251% en quelques mois. Une progression maintenue depuis, si l'on en croit les chiffres publiés aujourd'hui. Interrogés, plusieurs professionnels qui opèrent sur ce marché avouent qu'il existe des excès. “Au départ, le prêt/emprunt devait porter sur les actions plus que sur les bons du Trésor. Mais nous constatons que l'objet initial de ce mécanisme a été détourné”, nous explique sous couvert de l'anonymat l'un des rares opérateurs qui a accepté de répondre à nos questions.

Source : AMMC
 


 

Dans sa dernière publication, l'AMMC n'évoque pas deux points majeurs : L'ampleur des opérations inter-groupe et la proportions des emprunts réalisés à blanc, c'est-à-dire sans garantie entre le prêteur et l'emprunteur.

 

Source : AMMC. 

 

Un effet de levier extrême, une loi qui doit être revue

Lorsque les volumes étaient de 144 Mds de dirhams, 74% des opérations se faisaient sans garantie entre le prêteur et l'emprunteur. L'OPCVM va prêter des titres à sa banque maison-mère dans le secret le plus total (sauf aux yeux de l'AMMC) et sans garanties. Or, lors de la mise en place du prêt/emprunt, l'une des réticence des opérateurs était justement de se retrouver dans une telle situation où les prêts, dits à blanc, deviennent prédominants. Car, dans ce cas de figure, l'OPCVM prend un risque de contrepartie, celui de voir la banque ne pas restituer les titres alors qu'il n'a pris aucune garantie sur ce prêt. Ce risque est minime mais réel. Outre le risque de contrepartie, les opérations à blanc sont opaques en termes de pricing. Personne ne sait ce qui se passe en dehors de la banque et du régulateur. Nous sommes bien loin des standards d'un marché financier efficient.

L'autre problématique que génère le prêt/emprunt de titres, est qu'il permet de faire jouer un effet de levier extrême. Les banques dépositaires peuvent en abuser, surtout lorsqu'il s'agit d'emprunts sans garanties.

Pour toutes ces raisons, les professionnels sont unanimes : La loi sur le prêt-emprunt de titres sera bientôt amendée pour supprimer les prêts à blanc (sans garantie). L'idée est de stopper une éventuelle surchauffe de marché que certains qualifient même de bulle. Or, bulle ou pas, cet amendement ne va pas du tout arranger les choses. En tirant le tapis sous les pieds des opérateurs, les régulateurs risquent de provoquer un trou d'air sur les liquidités avec comme conséquence directe un renchérissement du coût de l'argent, bien que ces prêts à blanc ne sont pas prédominants dans le volume journalier sur le marché inter-bancaire. C'est ce qui s'est passé d'ailleurs en Europe fin 2016, où le BCE, en rachetant massivement des titres sur les marché, a provoqué une pénurie de titres à emprunter, avec comme conséquence un coup de frein dans l'expansion monétaire.


 

Source : AMMC.

 

Un cadre législatif mal adapté

Il faut le dire, l'erreur ne provient pas des opérateurs mais bien du législateur. Le cadre réglementaire initial du prêt/emprunt de titres, qualifié de simpliste, a permis au marché d'évoluer de la sorte. Désormais, l'amendement de la loi risque d'être suicidaire s'il n'est pas accompagné d'une montée en gamme de tout l'écosystème. Le premier est qu'une Chambre de compensation est désormais nécessaire pour gérer les opérations. Pour les opérateurs, c'est la pierre angulaire de toute réforme. Cette Chambre de compensation permettra, entre autres, de gérer les appels de marge, le risque de contrepartie et améliorer le pricing des opérations et, donc réduire leur opacité.


 

L'argent des retraites allait y passer aussi

Pour les Caisses de retraites, le recours au prêt-emprunt de titres nécessite une autorisation de la part de l'ACAPS. Sur ce volet, des demandes ont déjà été déposées mais l'ACAPS a souvent refusé aux Caisses de retraites d'entrer sur cette arène pour y jouer le rôle de prêteurs. Les principaux acteurs de ce marché restent donc les banques et les OPCVM.

 


 

 

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